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bandes de papier d’Europe superfin, portant en gros caractères rouges et noirs la formule sacramentelle. Le marché fut conclu à la satisfaction des deux parties. De retour en Europe, le voyageur allemand offrit de vendre sa collection à la Bibliothèque royale, qui ne se trouva pas assez riche pour l’acheter. C’était une occasion perdue à jamais, à jamais regrettable… Heureusement M. Schilling, se ravisant tout à coup, donna pour rien à la bibliothèque de l’Institut ces mêmes ouvrages auxquels il avait attaché d’abord une si grande valeur. — Enfin l’ambassade envoyée en Chine par la France étant sur le point de mettre à la voile, on obtint de M. le ministre des affaires étrangères la promesse d’acquérir par cette voie toute spéciale l’ensemble de la collection chinoise, thibétaine, mongole et mandchoue, telle qu’elle se conserve dans les grands monastères du Céleste Empire. Des ordres furent donnés à cet effet ; mais les espérances des savans ne se sont point réalisées. L’ambassade est revenue sans avoir pu se procurer ces livres que la Russie a trouvé le moyen de faire venir tout récemment.

La littérature bouddhique se compose donc d’ouvrages manuscrits et imprimés, rédigés en cinq langues. En première ligne, nous l’avons dit déjà, il faut placer la rédaction sanscrite, qui est véritablement la seule originale ; mais c’est la seule aussi que le secours de l’imprimerie n’ait pas mise à l’abri des erreurs du copiste. Les manuscrits sont donc trop souvent défectueux et fautifs ; quelquefois, si l’ouvrage est d’une rédaction qui ne remonte pas au-delà du Ve siècle, ils attestent dans la langue une certaine décadence, reconnaissable à l’introduction de formes grammaticales moins pures. Quand à des incorrections inévitables se joint la difficulté du sujet en lui-même, quand il faut commencer par purger les textes avant d’aborder l’idée, on peut se sentir embarrassé, et on est heureux de s’appuyer sur une version imprimée qui, moins parfaite sans doute, sert au moins à découvrir ou à rectifier les lacunes et les fautes du manuscrit. Cet appui, on le trouve dans la traduction thibétaine ; les lamas ayant eu soin de remanier leurs livres à mesure que la langue elle-même se modifiait par la pratique, il en est résulté pour leurs collections, incessamment revues et corrigées, un rare degré de précision et d’exactitude. Ces collections offrent la sécurité d’une édition stéréotypée ; tous les exemplaires se ressemblent et se valent : la tradition vînt-elle à se perdre parmi les lamas, leurs planches de bois n’en reproduiraient pas moins les mêmes empreintes, tandis que, dans l’Inde, le copiste, ne comprenant pas toujours ce qu’il écrit, peut commettre de lourdes bévues. Si le sanscrit est la clé des études bouddhiques, auxquelles il a donné le tour des idées indiennes et une terminologie consacrée, le thibétain jette à l’intérieur de l’édifice, trop souvent ténébreux, une clarté qu’il emprunte à la perpétuité de renseignement dans les états du lama. De là vient que la connaissance