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une influence extraordinaire ; on voulut se rendre compte de ses progrès et de sa décadence, et on ne pouvait mieux faire que de demander à l’étude des textes la solution de ce problème.

Assurément c’est un beau travail de philosophie et de philologie comparées que de suivre à travers cinq langues l’exposition et le développement d’une religion toute métaphysique, surtout si ces cinq langues, bien distinctes entre elles de nature et de procédés grammaticaux, reflètent l’esprit des peuples auxquels elles appartiennent. Né dans l’Inde, le bouddhisme[1] eut à son service l’idiome le plus souple, le plus riche et le plus fécond de l’antiquité ; la nation qui possède un langage aussi perfectionné aime à parler ou à écrire ; de là une abondance de manuscrits, une richesse de textes vraiment embarrassante. En 1842, la Société asiatique de Paris reçut en don de M. Hodgson, résident anglais au Népâl, vingt-six ouvrages sanscrits-bouddhiques copiés dans les couvens de la vallée de Kathmandou ; les soixante-quatre autres qui complétaient la collection ne tardèrent pas à arriver. A cet envoi fut joint celui des cent quatre volumes in-folio de la collection thibétaine du Kand-jour, dus à la libéralité de la Société asiatique du Bengale. Celle de Paris s’empressa de déposer ces livres à la Bibliothèque royale, mettant ainsi les monumens d’une littérature nouvelle à la disposition du plus grand nombre. On voit avec quelle générosité les savans de Calcutta partagent les trésors que l’occupation de l’Inde par les troupes britanniques met entre leurs mains ; ajoutons qu’ils ont sacrifié à la diffusion des études asiatiques des sommes énormes dont la France, dans sa pauvreté, ne peut pas se représenter le chiffre.

L’acquisition de ces ouvrages manuscrits et imprimés n’a pas coûté beaucoup à notre pays ; il en fut de même des livres thibétains et mongols rapportés par M. le baron Schilling[2], qui vint en grossir le nombre, et nous ne pouvons en parler sans citer certains faits curieux qui s’y rattachent. On sait que les lamas thibétains et tartares, pour s’éviter l’ennui de réciter sans cesse l’interjection sacrée Ompadma-ôm, ont eu l’idée d’écrire ces mots sur des bandes de papier que des moulins à prières font tourner nuit et jour ; c’était une façon comme une autre d’utiliser les cours d’eau au versant des montagnes. M. le baron Schilling fit avec les religieux de la Mongolie un arrangement par lequel ils lui donneraient ces cent volumes en échange de cent magnifiques

  1. Dans son Introduction à l’Histoire du Bouddhisme indien, M. E. Burnouf a fait l’histoire de cette croyance dans le nord de l’Inde en étudiant tous les manuscrits sanscrits et népalais qui traitent de cette matière, admirable ouvrage qui suffirait à la gloire d’un savant. C’est dans de pareils travaux qu’on peut voir à quoi sert l’étude des langues en Orient unie à la plus sage critique et aux plus larges points de vue.
  2. Cette autre collection se compose aussi de cent volumes contenant des fragmens du Kan-djour, des traités sur l’éducation primaire, etc.