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vers ma sœur, bien qu’elle égale en beauté le fantôme de mes visions ; c’est un attrait indéfinissable, une affection profonde comme la mer, vaste comme le ciel, et telle que pourrait l’éprouver un dieu. L’idée que ma sœur pourrait s’unir à un homme m’inspire le dégoût et l’horreur comme un sacrilège ; il y a chez elle quelque chose de céleste que je devine à travers les voiles de la chair. Malgré le nom dont la terre la nomme, c’est l’épouse de mon ame divine, la vierge qui me fut destinée dès les premiers jours de la création ; par instans je crois ressaisir à travers les âges et les ténèbres des apparences de notre filiation secrète. Des scènes qui se passaient avant l’apparition des hommes sur la terre me reviennent en mémoire, et je me vois sous les rameaux d’or de l’Éden assis auprès d’elle et servi par les esprits obéissans. En m’unissant à une autre femme, je craindrais de prostituer et de dissiper l’ame du monde qui palpite en moi. Par la concentration de nos sangs divins, je voudrais obtenir une race immortelle, un dieu définitif, plus puissant que tous ceux qui se sont manifestés jusqu’à présent sous divers noms et diverses apparences !

Pendant qu’Yousouf et l’étranger échangaient ces confidences bizarres, les habitués de l’okel, agités par l’ivresse, se livraient à des contorsions extravagantes, à des rires insensés, à des pamoisons extatiques, à des danses convulsives ; mais peu à peu, la force du chanvre s’étant dissipée, le calme leur était revenu, et ils gisaient le long des divans dans l’état de prostration qui suit ordinairement ces excès.

Un homme à mine patriarcale, dont la barbe inondait la robe traînante, entra dans l’okel et s’avança jusqu’au milieu de la salle.

— Mes frères, levez-vous, dit-il d’une voix sonore ; je viens d’observer le ciel ; l’heure est favorable pour sacrifier devant le sphinx le coq blanc en l’honneur d’Hermès et d’Agathodoemon.

Les sabéens se dressèrent sur leurs pieds, et parurent se disposer à suivre leur prêtre ; mais l’étranger, en entendant cette proposition, changea deux ou trois fois de couleur : le bleu de ses yeux devint noir, des plis terribles sillonnèrent sa face, et il s’échappa de sa poitrine un rugissement sourd qui fit retourner l’assemblée d’effroi, comme si un lion véritable fût tombé au milieu de l’okel.

— Impies ! blasphémateurs ! brutes immondes ! adorateurs d’idoles ! s’écria-t-il d’une voix retentissante comme un tonnerre.

À cette explosion de colère succéda dans l’assemblée un mouvement de stupeur. L’inconnu avait un tel air d’autorité et soulevait les plis de son sayon par des gestes si fiers, que nul n’osa répondre à ses injures.

Le vieillard s’approcha et lui dit : Quel mal trouves-tu, frère, à sacrifier un coq suivant les rites aux bons génies Hermès et Agathodoemon ?