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l’avons dit, d’un usage rigoureux dans les monastères, on le trouve partout où il y a des bonzes, en Mongolie, à la Chine. A Pé-king même, les collections bouddhiques imprimées au Thibet forment la base des bibliothèques de tous les monastères, et l’enseignement de, l’idiome thibétain se perpétue ainsi sur tous les points où existe la religion de Bouddha, par le moyen des lamas qui voyagent ou résident dans ces régions. Par contre aussi, on conserve dans quelques couvens du Thibet ces mêmes ouvrages en langue sanscrite, qui est à celle du pays ce que serait la langue grecque à l’égard de celle de Rome.

L’importance de cet idiome chez les peuples de la Haute-Asie est donc bien prouvée ; il reste à considérer en quoi il intéresse l’Europe. Emporté par l’esprit de critique et d’investigation qui le caractérise, notre temps veut tout connaître, c’est pour lui un besoin, une passion même blâmable aux yeux de quelques-uns ; mais il faut la lui pardonner à cause des vérités qu’il soulève devant ses pas, au milieu de sa course désordonnée. L’obscurité est toute composée d’erreurs, de demi-aperçus ; quels larges points de l’horizon illumine tout à coup la plus petite lumière ! La lecture exacte de quelques mots a fait taire les systèmes qui s’agitaient autour du zodiaque de Denderah ; de nos jours, Voltaire reconnaîtrait que les brahmanes, qu’il croyait originaires des beaux climats où nous les trouvons, viennent vraisemblablement de cette Scythie d’où sortirent toujours, selon lui, « les tigres qui mangèrent nos agneaux. » D’un autre côté, Bailly ne s’appliquerait plus autant à chercher le peuple primitif dans les vallées de l’Himalaya et du Ladakh, thèse adoptée avec ardeur par des écrivains moins respectables, moins érudits, qui s’appuyaient sur ce qu’il était impossible de leur prouver le contraire. Grace à Dieu, la science s’est faite impartiale ; elle reçoit la vérité, de quelque part qu’elle lui vienne. L’étude des langues indiennes appartient tout entière à notre siècle ; on en peut dire autant de celle des langues chinoise et tartare en Europe. Ces idiomes, que les missionnaires, depuis si long-temps, savaient parler, écrire, traduire avec facilité, une fois arrivés à la connaissance des savans, furent considérés par eux sous un point de vue historique et philosophique. Les dogmes védiques et la morale de Confucius, les écoles dissidentes nées du brahmanisme et la doctrine abstraite de Lao-Tsé s’étaient présentés d’abord comme l’expression la plus ancienne des idées religieuses dont le centre se trouvait à Benarès et à Pé-king ; puis, à travers ces dogmes qui se dégageaient, chacun dans sa sphère, de tout élément étranger, il s’en montra un plus universel, le bouddhisme, commun à des peuples qui n’avaient eu entre eux aucun rapport de mœurs ni de croyances, et d’où sortait une littérature commune aussi à tous ces peuples. Cette religion avait donc exercé dans la Haute-Asie