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moi dès-lors, et voulut bien ne voir qu’une simple curiosité de voyageur dans les questions que je lui fis sur la jeune fille druse. Je n’eus pas de peine non plus à lui faire comprendre que le peu qu’elle m’en avait dit le premier jour avait excité mon intérêt pour l’infortune du père.

— Il ne serait pas impossible, dis-je à l’institutrice, que je fusse de quelque utilité à ces personnes ; je connais un des employés du pacha, de plus vous savez qu’un Européen un peu connu a de l’influence sur les consuls.

— Oh ! oui, faites cela si vous pouvez, me dit Mme Carlès avec sa vivacité provençale ; elle le mérite bien, et son père aussi sans doute. C’est ce qu’ils appellent un akkal, un homme saint, un savant, et sa fille, qu’il a instruite, a déjà le même titre parmi les siens, akkalé-siti (dame spirituelle).

— Mais ce n’est que son surnom, dis-je ; elle en a un autre encore ?

— Elle s’appelle Salèma ; l’autre nom lui est commun avec toutes les autres femmes qui appartiennent à l’ordre religieux. La pauvre enfant, ajouta Mme Carlès, j’ai fait ce que j’ai pu pour l’amener à devenir chrétienne, mais elle dit que sa religion c’est la même chose ; elle croit tout ce que nous croyons, et elle vient à l’église comme les autres… Eh bien ! que voulez-vous que je vous dise ? ces gens-là sont de même avec les Turcs ; votre esclave, qui est musulmane, me dit qu’elle respecte aussi leurs croyances, de sorte que je finis par ne plus lui en parler. Et pourtant, quand on croit à tout, on ne croit à rien ! Voilà ce que je dis.


IV. LE CHEIK DRUSE

Je me hâtai, en quittant la maison, d’aller au palais du pacha, pressé que j’étais de me rendre utile à la jeune akkalé-siti. Je trouvai mon ami l’Arménien à sa place ordinaire, dans le serdar ou salle d’attente, et je lui demandai ce qu’il savait sur la détention d’un chef druse emprisonné pour n’avoir pas payé l’impôt. — Oh ! s’il n’y avait que cela, me dit-il, je doute que l’affaire fût grave, car aucun des cheiks druses n’a payé le miri depuis trois ans. Il faut qu’il s’y joigne quelque méfait particulier. .

Il alla prendre quelques informations près des autres employés, et revint bientôt m’apprendre qu’on accusait le cheik Seïd-Eschrazy d’avoir fait parmi les siens des prédications séditieuses. C’est un homme dangereux dans les temps de troubles, ajouta l’Arménien. Du reste, le pacha de Beyrouth ne peut pas le mettre en liberté ; cela dépend du pacha d’Acre.

— Du pacha d’Acre ! m’écriai-je ; mais c’est le même pour lequel j’ai une lettre, et que j’ai connu personnellement à Paris !