Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’Inde, auraient-ils puisé aussi à des sources plus reculées ? Ceci prouverait encore combien certaines fables ont voyagé dans toute l’Asie.

La Société asiatique de Calcutta ayant adressé à celle de Paris un exemplaire des livres de Csoma publiés par elle, l’étude de la langue thibétaine ne tarda pas à se naturaliser en France. M. Éd. Foucaux, qui suivait activement les belles leçons de M. E. Burnouf sur l’idiome sacré de l’Inde, tourna aussi son attention sur l’idiome du bouddhisme par excellence. C’était assurément rendre service à la science que d’aborder la lecture de ces textes canoniques ; c’était faire preuve de courage et de persévérance que d’entreprendre, sans le secours d’aucun maître, le déchiffrement de ces cahiers mystérieux. En peu d’années, celui qui s’était appris à lui-même fut en état d’enseigner aux autres. M. Villemain, alors ministre de l’instruction publique, autorisa l’ouverture d’un cours de langue thibétaine qu’il confia à M. Foucaux. Encouragé à son début dans la carrière, le jeune professeur voulut préparer pour l’impression un texte qui fût à la fois un monument littéraire et en quelque sorte le symbole de la doctrine du lamaïsme : il choisit la Vie de Bouddha. C’est un ouvrage que les fidèles vénèrent particulièrement, comme ayant été dicté par le dieu lui-même à ses disciples dans la sainte ville d’Oude, désignée, en style bouddhique, sous le nom de Cravastî, le lieu où l’on écoute. L’Imprimerie royale, qui, sous l’impulsion active et éclairée de son directeur, a produit déjà tant de chefs-d’œuvre de typographie orientale, accueillit l’exécution de ce livre, et bientôt les lamas pourront, si bon leur semble, étudier les préceptes de leur foi dans des pages plus lisibles et aussi correctes que celles qu’ils impriment eux-mêmes.

C’est encore une bizarrerie des Thibétains, peuple hybride, d’avoir emprunté leur croyance à l’Inde et leurs arts à la Chine. L’imprimerie, importée chez eux vers 1730, leur vient évidemment du Céleste Empire ; le procédé consiste, à Lhassa comme à Pé-king, dans l’application d’un papier humide sur une planche noircie à l’aide d’une éponge imprégnée d’encre. Il va sans dire que les caractères ne sont pas mobiles ; le papier, un peu jaune et assez rude au toucher, se fabrique avec l’écorce du daphne involucrata, qui croît dans les vallées du Thibet[1]. L’introduction de l’imprimerie dans les états du grand lama eut le double effet de favoriser la paresse des religieux, débarrassés de la fatigue de copier les textes, et de multiplier rapidement la reproduction des livres. Le rituel écrit en langue thibétaine étant, comme nous

  1. Cette espèce de daphne, que le docteur Wallich appelle involucrata, paraît répondre au daphne cannabina du père Loureiro, que ce savant botaniste désigne dans sa Flora Cochinensis par ces mots caractéristiques ; Ex ejus cortice contuso et macerato fit charta scriptoria apud indigenas optima.