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plantés dans des trous ronds pratiqués entre les dalles de la cour, égayaient un peu ce lieu fermé de toutes parts à la nature extérieure. Un pan de ciel bleu dentelé par les frises, que traversaient de temps à autre les colombes de la mosquée voisine, tel était le seul horizon des pauvres écolières. J’entendis dès l’entrée le bourdonnement des leçons récitées, et, montant l’escalier du premier étage, je me trouvai dans l’une des galeries qui précédaient les appartemens. Là, sur une natte des Indes, les petites filles formaient cercle, accroupies à la manière turque autour d’un divan où siégeait Mme Carlès. Les deux plus grandes étaient auprès d’elle, et dans l’une des deux je reconnus l’esclave, qui vint à moi avec de grands éclats de joie.

Mme Carlès se hâta de nous faire passer dans sa chambre, laissant sa place à l’autre grande, qui, par un premier mouvement naturel aux femmes du pays, s’était hâtée à ma vue de cacher sa figure avec son livre. Ce n’est donc pas, me disais-je, une chrétienne, car ces dernières se laissent voir sans difficulté dans l’intérieur des maisons. De longues tresses de cheveux blonds entremêlés de cordonnets de soie, des mains blanches aux doigts effilés, avec ces ongles longs qui indiquent la race, étaient tout ce que je pouvais saisir de cette gracieuse apparition. J’y pris à peine garde, au reste ; il me tardait d’apprendre comment l’esclave s’était trouvée de sa position nouvelle. Pauvre fille ! elle pleurait à chaudes larmes en me serrant la main contre son front. J’étais très ému, sans savoir encore si elle avait quelque plainte à me faire, ou si ma longue absence était cause de cette effusion.

Je lui demandai si elle se trouvait bien dans cette maison. Elle se jeta au cou de sa maîtresse en disant que c’était sa mère.

— Elle est bien bonne, me dit Mme Carlès avec son accent provençal, mais elle ne veut rien faire ; elle apprend bien quelques mots avec les petites, c’est tout. Si l’on veut la faire écrire ou lui apprendre à coudre, elle ne veut pas. Moi je lui ai dit : Je ne peux pas te punir ; quand ton maître reviendra, il verra ce qu’il voudra faire.

Ce que m’apprenait là Mme Carlès me contrariait vivement ; j’avais cru résoudre la question de l’avenir de cette fille en lui faisant apprendre ce qu’il fallait pour qu’elle trouvât plus tard à se placer et à vivre par elle-même ; j’étais dans la position d’un père de famille qui voit ses projets renversés par le mauvais vouloir ou la paresse de son enfant. D’un autre côté, peut-être mes droits n’étaient-ils pas aussi bien fondés que ceux d’un père. Je pris l’air le plus sévère que je pus, et j’eus avec l’esclave l’entretien suivant, favorisé par l’intermédiaire de la maîtresse :

— Et pourquoi ne veux-tu pas apprendre à coudre ?

— Parce que, dès qu’on me verrait travailler comme une servante, on ferait de moi une servante.