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Bengale, nous l’avons vu bien souvent, absorbé dans une méditation rêveuse, souriant à ses propres idées, silencieux comme les brahmanes qui, accroupis sous les tables, copiaient des textes sanscrits : il oubliait l’Europe pour vivre dans les nuages de l’antique Asie. En 1842, le désir de retourner au Thibet s’empara de lui ; mais sa mission était achevée il mourut en chemin sans avoir fait connaître à personne si les Hongrois sont originaires du Ladakh ou de la province de Lhassa. Combien il est à regretter que ce savant consciencieux n’ait pas écrit ses voyages, ou au moins laissé quelques notes sur les pays qu’il a parcourus ! Quel dommage aussi qu’un esprit si bien disposé pour la science ait été si peu littéraire ! mais, sous l’influence d’un autre ordre d’idées, eût-il accompli cette tâche laborieuse et utile qui fait sa gloire ?

Jusqu’au XIXe siècle, on ne possédait en Europe, pour l’étude de la langue de ces contrées, qu’un essai de vocabulaire, rédigé par le missionnaire Dominique Fano. L’Alphabetum thibetanum d’Horace della Penna, ouvrage précieux pour son temps et qui renferme un peu de tout, avait été singulièrement gâté par l’érudition indigeste de l’éditeur Georgi. Quand le czar Pierre envoya à l’Académie des Belles-Lettres quelques feuillets d’un livre thibétain provenant du couvent d’Ablaï-Kit, Fourmont fit des efforts inouis pour tirer des premières lignes un sens impossible, bizarre, énigmatique, pareil aux réponses de la sybille ; c’était beaucoup déjà d’avoir reconnu à quelle langue appartenaient ces pages. Enfin le missionnaire allemand Schroeter rédigea en italien un dictionnaire du langage du Boutan que Carey et Marshman, infatigables éditeurs, publièrent en anglais à Serampore, l’an 1826 ; l’ouvrage était précédé d’une grammaire. Bien qu’insuffisans, ces travaux seraient moins inconnus de nos jours, si ceux plus complets de Csoma de Köros ne les avaient fait oublier. Le lexique du savant hongrois, s’il n’est pas irréprochable dans sa forme et dans l’arrangement des mots, peut suffire à la lecture d’un grand nombre de textes ; ses extraits du Kan-djour permettent de plonger du regard dans les profondeurs de cette insondable collection. Ce sont donc là les publications qui ont ouvert la voie. En accueillant Csoma de Köros dans sa pauvreté, l’Angleterre a la première prêté son patronage aux études thibétaines ; après elle vient la Russie, qui, dans la personne de M. T.-J. Schmidt, Allemand de naissance et académicien de Saint-Pétersbourg, suivit l’impulsion. M. Schmidt a refondu la grammaire et ajouté de nouvelles locutions au dictionnaire de Csoma ; on lui doit aussi la traduction allemande, accompagnée du texte thibétain, d’un recueil intitulé le Sage et le Fou (der Weise und der Thor), curieux assemblage de légendes et de récits classés par cinquante et un chapitres, qui porte le caractère d’une parenté lointaine avec les Mille et une Nuits. Ces contes arabes, si populaires en Europe, et qui ont fait quelques emprunts à la Perse et