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et il condamne tout le reste. Dans la peinture de notre époque, tout est beau du côté des masses populaires, tandis que le monde politique et légal de 1830 n’est que corruption et bassesse. Des faits déjà graves se trouvent élevés à une exagération monstrueuse. Ainsi, à propos du triste procès que, dans ces derniers jours, vient de vider la chambre des pairs, M. de Lamartine prétend que la France est humiliée « par l’improbité des pouvoirs publics. » Entraîné par la phrase, l’orateur a dit le contraire du vrai. Si des individus ont été improbes, les pouvoirs publics ont été trouvés purs. Loin de l’oublier, c’était le moment de mettre ce point en lumière. En effet, que dit-on aujourd’hui aux masses ? On leur répète incessamment que tout ce qui est au-dessus d’elles est miné par une corruption incurable ; on cherche à persuader au peuple que, pendant qu’il travaille, tous ceux qui prennent part à l’administration, au gouvernement, à des degrés divers, s’enrichissent aux dépens de la chose publique. Puisque M. de Lamartine s’est donné la mission de haranguer les masses, il avait une belle occasion de remplir un devoir social, en proclamant que la France, malgré des scandales partiels, pouvait s’honorer de l’intégrité incontestable des pouvoirs administratifs et judiciaires. Dans quel pays de l’Europe trouvera-t-on, par exemple, une magistrature d’une plus haute probité ? Ne sont-ce pas là des traits de nos mœurs que l’on doit plus que jamais opposer à des déclamations où tout est confondu, tantôt par l’ignorance, tantôt par la mauvaise foi ? Par quelles préoccupations M. de Lamartine est-il arrivé à faire si bon marché de ces classes auxquelles il appartient lui-même ? Nul cependant n’est mieux placé que lui, par son talent, pour faire comprendre aux masses que, dans toutes les conditions sociales, la nature humaine se retrouve avec les mêmes qualités et les mêmes faiblesses, pour dire au peuple que, s’il a le droit de demander son émancipation au travail, au développement de son intelligence, la calomnie et l’envie contre ce qui est au-dessus de soi sont pour s’élever de mauvais échelons.

Ce procès même si souvent invoqué pour la condamnation de notre époque n’eût-il pas mis en saillie les différences nouvelles qui nous distinguent des mauvais temps de l’ancienne monarchie ? Dans ces époques où le mal se faisait si ouvertement, y avait-il pour de semblables fautes une justice sévère et inflexible ? On n’accusera pas sans doute la pairie d’avoir faibli dans l’exécution des devoirs qui lui étaient imposés. Peut-être un autre tribunal eût été moins rigoureux. Il n’y a eu qu’un cri de commisération pour les deux hommes qui, après avoir siégé dans les conseils de la couronne et sur les bancs de la chambre des pairs, se sont trouvés frappés de mort politique et civile. Si leurs fautes ont été grandes, l’expiation a été terrible. Assurément le châtiment a été moins rude pour celui qui est venu s’offrir le dernier à une condamnation prévue d’avance ; il tombait de moins haut, et il avait d’ailleurs la consolation de n’être que très légèrement atteint dans ce qui avait toujours été le principal objet de ses soins et de ses prédilections. Toutefois c’est avec une émotion allant jusqu’aux larmes que ce vieillard, ce contemporain du directoire, a comparu devant la pairie. Il ne s’est un peu remis que lorsqu’il a dû expliquer la façon dont s’était passée la négociation pécuniaire. L’homme d’affaires s’est retrouvé.

Maintenant, quand on envisage l’ensemble de cette douloureuse affaire, on fait des réflexions de plus d’un genre sur la condition des hommes publics en France, La probité ne se commande pas, et il n’existe point de recette pour ne porter