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ment comprendre les hommes expérimentés que l’administration compte dans son sein. Ils ont pu sonder tous les écueils, reconnaître les fautes commises pour éviter les uns, pour réparer les autres, qu’ils n’oublient pas que l’esprit politique ne se compose pas moins de la fermeté du caractère que de l’étendue de l’intelligence. C’est en prenant à propos une sage initiative que les dépositaires du pouvoir exerceront sur les destinées du pays une heureuse et utile influence.

Parmi ceux qui pourraient exercer une telle influence, nous voudrions compter un homme d’une splendide et inépuisable verve. Qui ne désirerait trouver dans le talent de M. de Lamartine autant d’utilité pour la chose publique que d’éclat ? Dans la harangue qu’il a débitée au banquet de Mâcon, M. de Lamartine parle de ses ennemis politiques : M. de Lamartine se trompe, il n’a pas d’ennemis. Ni la nature de son esprit, ni la trempe de son caractère, ne sont faites pour inspirer ces haines de parti que ne peuvent éviter de soulever autour d’eux les hommes politiques qui s’affirment avec énergie. Au lieu d’adversaires passionnés, M. de Lamartine n’a en face de lui que des admirateurs de sa magnifique imagination, qui en suivent les écarts avec plus ou moins d’inquiétude et de chagrin. On juge ses exagérations, on reconnaît ses inconséquences, mais on se sent toujours pour celui qui se les permet un inépuisable fonds d’indulgence. Faut-il le dire ? il y a dans les plus grandes effervescences de M. de Lamartine quelque chose de léger, d’inoffensif ; la flamme brille, puis elle meurt sans avoir rien embrasé. M. de Lamartine s’est donné le plaisir de convoquer deux mille Mâconnais pour leur parler de la révolution française, et leur apprendre qu’il préfère aujourd’hui la république à la monarchie. C’est une fantaisie que tout le monde ne pourrait se passer ; mais la France la permet à son poète, qui s’évertue pour la réveiller, pour la distraire, car la France s’ennuie, c’est M. de Lamartine qui nous l’a dit il y a quelque temps, et ce mot, s’il faut l’en croire, a fait le tour du monde. Il n’y a évidemment qu’un poète qui puisse avoir le privilège de délivrer de pareils certificats à ses paroles ; il n’y a aussi qu’un grand artiste qui ait pu porter le poids de ce long monologue où il a été question tour à tour d’Hérodote, de la Grèce, des anciens Gaulois, de l’empereur, de la restauration et du ministère. N’oublions pas non plus que l’orateur s’adressait à un auditoire que venait d’assaillir un orage furieux. Ç’a été une lutte de l’éloquence contre la nature. L’art n’a pas été vaincu ; il semblait même que la tempête avec ses foudres et ses éclairs servait comme d’encadrement pittoresque à toute cette scène, à la figure de celui qui en était le héros, et qui a pu se croire un instant sur le mont Sinaï.

Si, avec de pareilles conditions, nous n’étions pas plutôt dans le domaine de la fantaisie que dans celui de la réalité et de la politique, nous aurions à discuter plusieurs des assertions de l’harmonieux et élégant tribun. Il est remarquable que plus M. de Lamartine avance dans la vie, plus son talent a les allures de la jeunesse, sans gagner, chemin faisant, les avantages de la maturité. Ce ne sont plus que déclamations véhémentes, couleurs chargées, lieux communs pompeux et sonores ; on cherche en vain les résultats d’une observation profonde et équitable, un jugement impartial sur les choses et sur les hommes, sur les mérites de notre époque aussi bien que sur ses travers. Maintenant, pour tout apprécier, M. de Lamartine a un critérium simple et commode : il élève jusqu’aux cieux tout ce qui est marqué du cachet révolutionnaire et démocratique,