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plus trouvé suffisante la lettre que M. Coletti avait écrite sous l’inspiration, presque sous la dictée du prince de Metternich, sir Edmond Lyons n’est-il pas pour quelque chose dans ces nouvelles difficultés ? En affectant de dire, en faisant répéter et écrire dans certaines feuilles que la conclusion de cette affaire serait un triomphe pour la France, en prêtant à ce sujet à M. Piscatory des propos qu’il n’a pas tenus, et qui devaient inquiéter l’amour-propre du gouvernement turc, le représentant de l’Angleterre prolonge entre la Grèce et les états du sultan une situation funeste à tous les intérêts des deux pays ; mais qu’importe ? Sir Edmond Lyons veut au moins tenir en échec, par des embarras extérieurs, le ministère de M. Coletti, qui vient d’obtenir la majorité dans les élections et de réprimer avec énergie quelques tentatives anarchiques, quelques coupables essais de guerre civile.

En Espagne, l’anarchie est aussi l’auxiliaire de la politique anglaise. La situation de la Péninsule, nous le disions récemment, se résume tout entière dans Les débats personnels et affligeans qui se sont élevés au sein même de la famille royale. Toutes les autres questions qui s’agitent dans ce malheureux pays pâlissent devant celle-là, et un triste intérêt continue à s’attacher à toutes les phases nouvelles de cette déplorable affaire. Il était difficile d’imaginer des complications plus graves que celles dont le palais de Madrid a été jusqu’ici le théâtre : aujourd’hui on peut voir que cette lutte ne peut désormais que s’envenimer chaque jour, et qu’elle sera bientôt sans issue. Une circonstance toute récente le démontre assez. La reine Isabelle s’est décidée, il y a quelques jours, à quitter Madrid pour aller habiter la Granja, résidence royale d’été. À peine son départ était-il connu, que le roi don Francisco a informé les ministres qu’il allait revenir du Pardo, où il habite, au palais de Madrid ; mais, soit que la reine ait formellement manifesté sa volonté à cet égard, soit qu’on lui ait inspiré une pareille résolution, il a été signifié au prince, la veille de son retour, qu’en l’absence d’Isabelle, le palais n’était point ouvert pour lui. Pour tout dire, le ministre de la guerre lui a fait savoir en termes non équivoques que, s’il se présentait, la porte lui serait fermée, « avec tous les égards dus à sa personne. C’est là ce qui est public, et on peut penser que les commentaires ne manquent pas à Madrid, que la malignité n’a point laissé échapper cette nouvelle circonstance, et que l’irritation, nourrie de mille détails futiles, s’en est accrue de part et d’autre. Nous ne nous dissimulons pas tout ce que cette petite et indigne guerre a de parfaitement puéril, de parfaitement ridicule, et, il faut l’ajouter, de profondément dégradant. Par malheur il y a plus que cela : à côté de la dignité des personnes compromises, il y a la dignité du trône qui est en péril. La question a pris aujourd’hui des proportions assez grandes pour qu’on soit forcé de s’avouer que c’est là une épreuve décisive pour la monarchie constitutionnelle. La royauté nouvelle, si cette situation se prolonge encore quelque temps, n’en pourra sortir que fort amoindrie ; elle aura du moins perdu son prestige et tous ses droits au respect public. Ce qui restera, on peut le craindre, ne sera plus qu’une vaine comédie, qui disparaîtra de la scène à la première lutte sérieuse qui ne peut manquer de s’engager.

Si quelque chose doit surprendre au milieu de ces graves difficultés, c’est la placidité du ministère espagnol. Il semble ne s’émouvoir que pour faire rejeter, par ses journaux, la faute de la situation actuelle sur ceux qui ont gouverné