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en 1777 une Description du Thibet d’après la relation des lamas tangoutes établis parmi les, Mongols, et vers l’époque (1792) où les Népalais, maîtres d’une partie de ces contrées, menaçaient la personne du grand lama, l’Angleterre envoya près de ce souverain une ambassade dirigée par Samuel Turner, qui en a donné un récit fort détaillé[1]. Mais il manquait à l’Europe les livres, la connaissance de la langue, élémens indispensables sans lesquels il est impossible de savoir ce qu’une nation possède en propre, d’où elle a tiré ses institutions, à quelle famille elle se rattache dans le présent ou dans le passé. C’était à notre siècle qu’il appartenait de marquer un nouveau progrès dans l’étude des peuples du Thibet, devenue enfin possible par l’acquisition de leurs monumens littéraires.

Un passage du chroniqueur grec Théophyclate Simocatta, qui a écrit l’histoire du règne de l’empereur Maurice, et notamment de ses guerres contre les Perses, dit que les Turcs, après avoir dispersé les Avares en 597[2], soumirent les Ogors, nation brave et nombreuse. Quelques auteurs, s’appuyant sur ce témoignage et sur la ressemblance du mot Ogor (prononcé aussi Oungri) avec le nom des Hongrois, ont retrouvé dans cette horde oubliée les ancêtres des Madgyars de nos jours. D’autres ont avancé que les Hongrois pourraient être une fraction des anciens Kiang, entraînés vers l’ouest par le mouvement des migrations, si bien qu’un étudiant de Goettingue, né à Köros, en Transylvanie, résolut de s’assurer du fait. Poursuivi par le désir de retrouver le berceau de sa nation, Csoma de Köros (c’est le nom de cet intrépide voyageur) se voua à l’exécution de son dessein avec une abnégation extraordinaire. Le monde savant connaît seul les détails de sa vie aventureuse et de ses travaux immenses ; le public qui reste en dehors des études arides de la linguistique n’a pas été initié à l’histoire de cet homme, qui mourut, comme il avait vécu, dans la pauvreté et dans le silence.

Après avoir pris à l’université de Goettingue le degré de docteur en médecine, Csoma revint en Transylvanie, puis se mit à marcher vers l’Orient. Pareil aux bonzes qu’il allait rejoindre, il parcourut à pied, le bâton à la main, l’espace effrayant qui sépare Köros de Lhassa. De quoi vécut-il sur la route ? D’aumônes, du salaire de quelques prescriptions médicales. En Orient, la tradition de l’hospitalité ne s’est pas encore perdue, et puis, là où le riche ne pourrait s’aventurer sans péril, le pauvre passe inaperçu. Doué d’une volonté, d’une persévérance inébranlables, ne connaissant aucun des besoins que la civilisation impose aux hommes de la société moderne, austère dans ses mœurs comme un ascète hindou, le voyageur hongrois, après sept années de fatigues,

  1. Traduit en français par J. Cartera, 2 vol. in-8o, an IX.
  2. Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie.