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ambassades et des présens, ils sont désormais tolérés par ces maîtres ombrageux dont ils reçoivent des marques de bienveillance qui ne les dégagent point de l’obéissance due au souverain. Un commissaire, envoyé de Pé-king, représente l’empereur auprès du lama, et quatre mille hommes de troupes chinoises, sous prétexte de lui servir de gardes d’honneur, le maintiennent, lui et ses états, sous la dépendance de la Chine. C’est le système de protection employé par l’Angleterre avec tant de succès vis-à-vis des souverains qu’elle daigne laisser encore dans ses vastes possessions de l’Inde.

Depuis la fondation du bouddhisme, le chef de la doctrine a toujours été considéré comme une incarnation du législateur divinisé ; au Thibet, cette croyance a conduit les fidèles au fétichisme le plus outré. Une étiquette superstitieuse dérobe le lama à la vue des profanes ; il n’est plus homme peccable, il est dieu, mais dieu inerte, sans action sur le monde des fidèles, comme la foi qui s’est personnifiée, incorporée en lui. Ce ne sont plus des synodes qui choisissent et proclament cette idole vivante, vouée, bon gré, mal gré, à l’adoration des peuples. Au lama régnant appartient le droit de désigner le personnage qui lui succédera ; il le reconnaît à certains signes, comme les prêtres égyptiens distinguaient dans un troupeau le bœuf Apis. Peu importe l’âge du dieu futur ; une fois marqué du sceau fatal, il est condamné à subir les ennuis d’un rôle qui a bien aussi ses dangers. Il y a quelques années, la fantaisie vint à l’empereur Tao-Kwang de voir face à face le grand lama, son tributaire ; celui-ci partit pour Pé-king, où il mourut très inopinément. À cette nouvelle, les conseillers se hâtèrent de placer sur le trône celui que le pontife avait prudemment choisi avant son départ, pauvre enfant arraché à sa liberté et aux jeux de son âge, qui compte huit ans à peine.

Ce n’est pas dans un palais, encore moins dans une forteresse, que réside ce souverain dépouillé de toute influence politique. Il habite un couvent qui consiste en un grand cercle d’édifices consacrés au culte et au logement des religieux ; au centre, dans le milieu d’une cour ovale, s’élève le temple. Le monument, pris dans son ensemble, est comme le noyau de la ville de Lhassa, qui s’étend alentour sous cette même forme ovale, et couvre un espace de quatre milles de long sur un mille de large environ. Le bazar, séparé du monastère par une rue spacieuse, l’enveloppe en entier ; ce marché doit être considéré comme le rendez-vous des petits trafiquans ; outre les objets de première nécessité, on y trouve les amulettes, les livres de prière, les menus articles de religion, que les colporteurs thibétains vont vendre dans les vallées du Népâl, où la croyance bouddhique s’est conservée. De belles maisons à plusieurs étages, bâties en pierres et en briques, dont le rez-de-chaussée sert de magasin, attestent l’aisance des commerçans de Lhassa.