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de sa propre main à la lettre de Chimène. Après avoir fait la croix avec quatre points et un paraphe, il écrivit les paroles suivantes en style de courtisan :

« A vous, Chimène la noble, la femme d’un mari envié, la modeste, la spirituelle, attendant un prochain accouchement, le roi, qui ne trouva jamais en vous mauvais vouloir, vous envoie ses saluts, en foi de ce qu’il vous aime tendrement.

« Vous me dites que je suis un mauvais roi, que je démarie les mariés, et que, pour mes intérêts, j’ai peu de souci de vos chagrins. Vous me dites dans vos dépêches que vous vous plaignez de moi parce que je ne vous lâche point votre mari, sinon une fois dans l’année, et encore, lorsque je vous l’envoie, qu’au lieu de vous caresser il s’endort dans vos bras, tant il est fatigué.

« Si vous eussiez appris, madame, que je vous enlevasse votre mari pour mon plaisir, vous auriez raison de vous plaindre ; mais, puisque je vous l’enlève seulement pour qu’il combatte nos voisins les Mores, je ne suis pas envers vous si coupable.

« Que si Rodrigue fût resté pendu à votre trousseau de clés, mes possessions ne se seraient pas augmentées d’un si riche patrimoine. Si je l’eusse laissé se promener avec les autres infançons, votre médaille d’or de saint Michel aurait pu tomber en de mauvaises mains ; et, si je ne lui avais pas confié le soin de mes armées, vous ne seriez qu’une simple dame, et lui qu’un simple gentilhomme.

« Si votre mari, madame, ne vous avait pas mise enceinte, je croirais ce que vous m’avez conté de son dormir ; mais, puisqu’il a rendu votre jupe trop courte, il faut qu’il n’ait pas dormi autant que vous le dites, car il attend de vous un héritier de son majorat.

« Et si un mari vous manque à vos premières couches, il n’importe ; vous y aurez un roi qui vous fera cent mille régals.

« Ne lui écrivez point de venir, parce que, bien qu’il fût à vos côtés, en entendant le tambour, il serait capable de vous quitter.

« Vous dites que votre Rodrigue a des rois pour vassaux. Plût à Dieu que, comme il en a cinq, il en eût cinq fois quatre ! car, les tenant en son pouvoir, mes châteaux et les vôtres n’auraient pas tant d’ennemis.

« Vous me dites de jeter au feu la lettre que vous m’avez écrite. Si elle contenait des hérésies, elle mériterait une telle récompense ; mais, comme elle ne contient que des raisons dignes des sept sages, elle vaut mieux pour mes archives que pour le feu ingrat.

« Et, afin que vous gardiez la mienne et ne la mettiez pas en morceaux, j’assure un beau présent à l’enfant dont vous accoucherez. Si c’est un fils, je promets de lui donner une épée et un cheval et deux mille maravédis pour l’aider dans ses dépenses ; si c’est une fille, je promets de placer pour sa dot quarante mares d’argent à partir du jour où elle sera née.

« Sur ce, madame, je finis, sans cesser de supplier la sainte Vierge qu’elle vous soit en aide dans les périls de l’accouchement[1].

Peut-être ne sera-t-on pas fâché de savoir de quelle façon courtoise et galante don Ferdinand tient sa royale promesse.

  1. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 143, Romancero Castellano, t. I, p. 142.