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Mais ce naturel exquis, cette gravité, cette simplicité, attributs de la poésie et de la chevalerie espagnoles, comme de la nôtre au XIIe siècle, les retrouvons-nous au même degré dans les romances, miroir fidèle et multiple des mœurs chevaleresques de l’Espagne aux XIIIe, XIVe et XVe siècles ?


II.

Avant d’interroger l’esprit du Romancero general et de tirer aucune induction de cette étude, il convient de nous rendre compte de la nature et de la valeur historique de ce monument. Les romances espagnoles sont-elles contemporaines ou voisines des événemens qu’elles retracent, des exploits du Cid, par exemple ? D’habiles critiques le soutiennent, et d’assez nombreux archaïsmes de langue et de mœurs, qui tous ne sont pas volontaires et calculés, permettent de le croire, au moins pour quelques-unes ; ou bien ne pouvons-nous, en bonne critique, assigner à la plupart de ces pièces une date antérieure au XVe ou XVIe siècle, dont elles parlent la langue ? C’est là un très délicat problème. Pour le résoudre, voyons d’abord comment les romances nous ont été transmises ; puis peut-être nous sera-t-il plus facile de découvrir quand et comment elles ont été composées.

Une première, une profonde différence nous frappe tout d’abord entre la manière dont les romances d’une part, les poèmes du Cid et les cancioneros d’une autre part, sont arrivés jusqu’à nous.

Les poèmes ou chansons de geste et les cancioneros (ceux-ci contiennent, comme on sait, les poésies des chanteurs ou troubadours les plus renommés) ont, les uns à cause de leur mérite et de leur étendue, les autres à cause de leur seul mérite, été écrits avec soin, souvent avec luxe, presque sous les yeux de leurs auteurs. L’imprimerie n’a eu, un peu plus tôt, un peu plus tard, qu’à les tirer des blanches couches de vélin où ils reposent et qui font encore aujourd’hui l’ornement des plus riches bibliothèques de l’Europe. Nous ne connaissons, au contraire, aucun ancien romancero manuscrit. La plupart des romances sont arrivées aux éditeurs du XVIe siècle par la seule tradition orale.

Il résulte de cette première remarque que les chansons du Cid et les pièces contenues dans les cancioneros ont une tout autre origine que les romances, et qu’il faut bien se garder d’appliquer aux unes et aux autres les mêmes règles de critique. Les premières sont des pièces réfléchies, travaillées, produits d’un art plus ou moins imparfait, mais enfin des œuvres d’art ; les secondes sont des compositions naïves, improvisées, de forme mobile et flottante, en un mot des chants populaires. Il suit encore de là qu’on ne peut légitimement rien induire contre l’ancienneté des romances de la jeunesse relative de leur langage, car le peuple, dont la faveur a conservé ces petites pièces, et qui