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de se confier à son instinct ; mais l’instinct sera toujours une faculté aussi prompte à suivre le mal que le bien : il sera toujours une faculté qui, lorsqu’elle parle, fait se succéder tous les sentimens dans le cœur de l’homme, les plus doux et les plus féroces. Lorsque l’éducation est venue polir les mœurs et tirer l’intelligence des ténèbres, il est bon de se confier à son instinct, et souvent alors il faut autant de force pour lui obéir au milieu de la société et des hommes que pour le maîtriser dans l’enfance et la jeunesse. On a remarqué que les mystiques tombent souvent dans les dérèglemens les plus honteux du matérialisme. Il en est de même de l’instinct. Il touche à tous les extrêmes ; il est primitivement le fond même de notre nature humaine, un vrai chaos où sont jetés pêle-mêle les passions, les vices, les vertus et les facultés intellectuelles. Plus tard, l’instinct ne sera plus que l’impulsion, l’inspiration particulière du caractère et du génie de l’individu ; c’est alors qu’il deviendra ce guide supérieur si éloquemment recommandé par Emerson. En attendant, il faut débrouiller le chaos de l’instinct primitif, et l’éducation seule peut se charger de ce soin, l’éducation faite par un autre. La figure de l’Apollon ou le corps de l’Hercule existe bien déjà dans le bloc de marbre ; mais il faut que l’artiste dépouille ce bloc pour en tirer la statue. Jean-Jacques a bien compris tout cela. Lui aussi veut laisser à l’homme sa nature et son instinct, et, par toute sorte de ruses et d’habiletés, il amènera l’enfant à se développer dans le droit sens. « Laissons-lui tout deviner, dit-il ; » mais il lui donne les moyens de deviner : il le place dans les circonstances favorables, il lui fait sa route, et l’enfant, averti par son sentiment intérieur, n’a plus qu’à la reconnaître et à marcher seul.

L’instinct et la spontanéité sont donc les facultés qui nous amènent à Dieu. Quel est le Dieu d’Emerson ? Il s’appelle over soul, l’ame suprême. Il y a dans cette doctrine de l’alexandrinisme, du mysticisme de Swedenborg et du panthéisme. L’homme sent toujours ses pensées couler en lui, il est comme un spectateur étonné, il ne sait où est la source de ces pensées. Cette source, c’est l’ame. L’ame, le principe pensant, est en dehors de l’homme. Il n’y a qu’une ame, c’est Dieu, qui, selon le proverbe vulgaire, vient nous visiter sans cloches. « C’est cette ame qui, lorsqu’elle souffle à travers notre intelligence, s’appelle génie, à travers notre volonté vertu, à travers nos affections amour. Tout semble nous montrer que l’ame n’est pas un organe, mais la cause qui anime les organes ; qu’elle n’est pas une faculté, mais se sert des facultés comme de mains et de pieds. » C’est donc Dieu qui agit dans l’esprit et en qui l’homme a toute volonté et toute pensée. Et plus loin Emerson ajoute : « Il n’y a pas dans l’ame de muraille où l’homme-effet cesse, et où Dieu-cause commence. » Quand Dieu ou l’ame suprême vient nous visiter, nous voyons tous ses attributs : justice, amour,