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turelle, un devin des ides printanières, un sage prophète des sphères et des marées, un véridique amant qui savait par cœur toutes les joies que donnent les vallées des montagnes. Il semblait que la nature ne pouvait faire naître une plante dans aucun lieu secret, dans la fondrière éboulée, sur la colline neigeuse, sous le gazon qui ombrage le ruisseau, par-dessous la neige, entre les rochers, parmi les champs humides connus du renard et de l’oiseau, sans qu’il arrivât à l’heure même où elle ouvrait son sein virginal. C’était comme si un rayon de soleil lui eût montré cette place et lui eût raconté la longue généalogie de la plante. On eût dit que les brises l’avaient apporté, que les oiseaux l’avaient enseigné et qu’il connaissait par intuition secrète où dans les champs lointains croissait l’orchis. Il y a dans les campagnes bien des choses que l’œil vulgaire ne découvre pas ; tous ses aspects, la nature les dévoilait pour plaire à ce sage promeneur et pour l’attirer à elle. Il voyait la perdrix faire tapage dans les bois, il écoutait l’hymne du matin de la bécasse, il découvrait les brunes couvées de la grive, le sauvage épervier s’approchait de lui. Ce que les autres hommes n’entendent qu’à distance, ce qu’ils épient dans l’obscurité du hallier se dévoilait devant le philosophe et semblait venir à lui à son commandement… »


Il est impossible de mieux surprendre tous les secrets de la solitude, de mieux exprimer le sentiment de liberté qu’elle fait naître. Faut-il l’avouer cependant ? il semble que ces beautés de la nature manquent de quelque chose d’essentiel ; nous sommes comme inquiets d’une absence trop prolongée. Ce qui est absent, c’est la vie humaine et la réalité. Sans doute ce sentiment de la solitude sort d’un cœur pénétré d’humanité, sans doute cette nature est pleine de réalité ; mais ce sentiment sort du cœur pour s’abdiquer, et cette nature elle-même s’idéalise dans un ordre métaphysique, se fond en nuages mystiques, s’épure jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’elle que le parfum et l’harmonie. Alors nous découvrons pourquoi la nature attire Emerson : c’est qu’il peut au milieu d’elle penser et rêver à son aise, c’est qu’il aime à pénétrer les lois secrètes, à réfléchir sur les causes qui la soutiennent et l’animent. Le caractère de la poésie d’Emerson est métaphysique ou mieux, symbolique. Tant qu’il est soutenu dans ses promenades par un élan vers la solitude, il est poète ; mais a-t-il trouvé un lieu assez écarté et une place bien disposée pour son repos, aussitôt le philosophe reparaît, et la méditation prend la place de l’hymne.

Nous avons entendu comparer la poésie symbolique à la poésie allégorique ; la comparaison est fausse. La poésie allégorique revêt d’un corps une pensée abstraite et ne parvient à produire qu’un automate. Le symbole est au contraire le corps, la forme, l’apparence d’une pensée inconnue. Ces apparences flottent sous nos yeux brillantes et colorées comme des illusions, et l’esprit, flottant avec elles, se perd en conjectures sur cette idée, sur cette réalité mystérieuse et cachée. Aussi la poésie symbolique a-t-elle comme un caractère occulte et cabalistique. Deux charmantes strophes d’Emerson montrent comment il sait symboliser une idée métaphysique. Il veut montrer que chaque objet est