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beauté de la nature. La haute et divine beauté, qui peut être aimée sans mollesse, est celle que nous trouvons unie à la volonté humaine et qui n’en peut être séparée. La beauté est la marque que Dieu imprime sur la vertu. Chaque action naturelle est gracieuse. Chaque action héroïque est de plus bienséante, et force le lieu où elle s’accomplit et les spectateurs à resplendir autour d’elle. Les grandes actions nous enseignent que l’univers est en cela la propriété de chaque individu. Toute créature rationnelle a la nature entière pour son douaire et son domaine. La nature est à l’homme s’il le veut. Il peut se séparer d’elle ; il peut se retirer dans un coin et abdiquer son royaume, comme la plupart des hommes le font ; mais par sa constitution il est enchaîné au monde. Il tire le monde à lui en proportion de l’énergie de sa volonté et de sa pensée. « Toutes les choses au moyen desquelles les hommes naviguent, construisent et labourent, obéissent à la vertu, » dit un ancien historien. « Les vents et les vagues sont toujours du côté du plus habile navigateur, » dit Gibbon. Ainsi du soleil, de la lune et de tous les astres du ciel. Lorsqu’une noble action est accomplie par hasard dans une scène d’une grande beauté naturelle ; lorsque Léonidas et ses trois cents martyrs mettent tout un jour à mourir, et que le soleil et la lune viennent l’un après l’autre les contempler dans l’étroit défilé des Thermopyles ; lorsqu’Arnold de Winkelried recueille dans son flanc une gerbe de lances autrichiennes pour ouvrir la ligne à ses compagnons, au milieu des hautes Alpes, sous l’ombre de l’avalanche : est-ce que ces héros n’ajoutent pas la beauté de la scène à la beauté de l’action ? Lorsque la barque de Colomb approche du rivage américain, que le bord de la mer se garnit de sauvages sortant de leurs huttes de roseaux, que la mer s’étend par derrière et les montagnes pourprées de l’archipel indien tout autour, pouvons-nous séparer l’homme de la peinture vivante ? Est-ce que le Nouveau-Monde, avec ses bosquets de palmiers et ses savanes, ne l’enveloppe pas comme d’une belle draperie ? Toujours d’une même façon, la beauté naturelle consent à s’effacer et enveloppe les grandes actions. Lorsque sir Harry Vane fut amené à la Tour, assis dans un tombereau, pour souffrir la mort comme champion des lois anglaises, quelqu’un de la multitude s’écria : « Vous n’avez jamais eu un siége aussi glorieux ! » Charles II, pour intimider les citoyens de Londres, fit traîner à l’échafaud le patriote lord Russell dans une voiture ouverte parmi les principales rues de la ville. Pour me servir du simple récit de son biographe, « la multitude s’imagina qu’elle voyait la liberté et la vertu assises à ses côtés. » Parmi les objets les plus sordides, un acte véridique ou héroïque semble attirer à lui le ciel comme son temple, et le soleil comme son flambeau. La nature étend ses bras pour étreindre l’homme, pourvu que nos pensées soient d’une grandeur égale à la sienne. Volontiers elle sème sous ses pas la rose et la violette, et courbe les lignes de sa grandeur et de sa grace pour la décoration de son enfant chéri. Un homme vertueux est en unisson avec les mœurs de la nature et se fait la figure centrale du monde visible. Homère, Pindare, Socrate, Phocion, s’associent eux-mêmes dans notre mémoire avec la géographie et le climat de la Grèce. Les cieux visibles et la terre sympathisent avec Jésus. Dans la vie commune, quiconque a vu un homme d’un puissant caractère et d’un heureux génie aura remarqué avec quelle aisance il attire à lui les choses qui l’entourent ; — les personnes, les opinions, le jour, la nature, deviennent les serviteurs de l’homme. »