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intitulée the Dial. Les écrits d’Emerson peuvent servir à compléter ces indications biographiques. Nous savons qu’il vit dans la solitude, et il laisse entrevoir dans plusieurs de ses essais qu’il est marié ou qu’il l’a été. L’éditeur anglais du philosophe américain, M. Carlyle, nous apprend qu’Emerson est riche ou du moins au-dessus de tout besoin. Cette solitude et cette aisance suffiraient pour montrer en lui une sorte de Montaigne puritain. Quant à son caractère, si nous en croyons quelques passages de ses Essais, Emerson aime mieux l’humanité que le commerce des hommes, et, comme tous les penseurs qui vivent trop dans la solitude, il supporte difficilement la contradiction. Si par hasard il a souffert, il a dû souffrir avec calme, mais en concentrant en lui-même sa souffrance plutôt qu’en la laissant se fondre à la douce flamme de la résignation. Sa conversation doit être timide, rare et à courte haleine. Je ne crois pas qu’il ait le souffle de l’improvisation indéfinie. Tel je me figure cet homme remarquable, bien différent (surtout quant à la faculté de l’improvisation) de son éditeur Carlyle, ardent esprit, qui s’épanche avec une éloquence sibylline, et jette en même temps dans ses éruptions humoristiques la lave précieuse et les cendres, les nuages de fumée, les gerbes d’étincelles, les flammes sulfureuses et la plus pure lumière.

Entre ces esprits si différens, il y a cependant de secrètes affinités. L’humoriste anglais et le penseur du Massachusetts se sentent attirés l’un vers l’autre. C’est Carlyle qui a fait connaître Emerson à l’Angleterre, c’est Emerson qui a édité les ouvrages de Carlyle aux États-Unis. Il appartiendrait à Carlyle de nous renseigner plus amplement qu’il ne l’a encore fait sur la vie, les études, le caractère du philosophe américain, principalement sur l’influence qu’il exerce dans son pays. Il y aurait intérêt à savoir quel accueil les citoyens des États-Unis ont fait à cette philosophie, et si dans ce pays de l’industrie et de l’activité matérielle ces rêveries de l’ame ont chance de rencontrer des disciples et des enthousiastes. C’est encore aux écrits d’Emerson qu’il faut recourir pour s’éclairer sur ce point. Emerson nous laisse deviner qu’il a eu à subir bien des critiques. « On a accusé ma philosophie, dit-il dans son Essai sur l’amour, de n’être pas sociale, et on a prétendu que dans mes discours publics mon respect pour l’intelligence me donne une injuste froideur pour les relations personnelles. » Ce reproche n’est pas sans quelque fondement, mais devait-il partir des États-Unis ? Les relations sociales de l’Amérique du Nord sont encore bien grossières, singulièrement brutales et matérielles, et je ne vois rien d’étonnant à ce qu’une intelligence comme celle d’Emerson ait voulu réagir contre les mœurs de son pays. Toutefois cette critique montre que la philosophie d’Emerson a éveillé la discussion autour d’elle. Être critiqué, c’est déjà avoir de l’influence ; reste à savoir si cette influence est considérable. Dans un