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doute, et là vous ne retrouverez ni l’Amérique des poètes ni celle des économistes ; plus de déserts, mais des terres labourées ; plus de vie sauvage, mais la rudesse démocratique ; plus de mœurs romanesques, mais le foyer protestant et la famille. Pénétrons, par exemple, dans l’état de Massachusetts : il y a là une de ces retraites favorisées dont nous parlons. Cette retraite est un charmant cottage, et celui qui l’habite est un sage, Ralph Waldo Emerson.

C’est un cottage en face d’une colline, lui-même nous l’apprend. Tout autour de cette habitation la nature se montre non pas grandiose, terrible et sauvage, mais gracieuse, souriante et aimable. « La nature dit : « L’homme est ma créature, et en dépit de tous ses impertinens chagrins il sera joyeux avec moi… » Au fond des bois je ne suis pas seul et inconnu : les plantes inclinent leur tête devant moi, et je leur rends leur salut. » Pour l’hôte du cottage, le paysage s’anime en effet, il respire je ne sais quoi de social. « Le charmant paysage que j’ai devant les yeux est indubitablement formé par quelque vingt ou trente fermes, et cependant personne ne peut dire que le paysage lui appartient. » On reconnaît déjà dans ces quelques lignes la manière d’Emerson. Il y a dans toutes ses descriptions de la nature comme un murmure léger, un bruit paisible, pareil au bourdonnement des mouches durant les nuits d’été, dirait le lakiste Wordsworth. La nature entière est pour lui dans le paysage qui entoure sa demeure. Toutes les qualités, tous les traits distinctifs de l’écrivain et du philosophe, la philosophie, la sagesse, l’humanité, la sympathie avec la nature plutôt que l’amour de la nature, se retrouvent dans la description de cette aimable retraite, et, sur le seuil de l’habitation, il semble déjà qu’on connaisse l’habitant.

Ralph Waldo Emerson est né et habite dans le Massachusetts, à Concord. Il a été ministre unitaire, et ce fait mérite considération. Les unitaires sont, de tous les sectaires protestans, les plus hardis et les plus indépendans. Ils sont à coup sûr les plus démocrates comme les quakers sont les plus philanthropes. Leur exégèse fourmille d’hérésies. Hazlitt, voulant désigner d’un seul mot les hérésies dramatiques de Joanna Baillie, dit qu’elle est « un unitaire en poésie. » Emerson, qui s’est séparé de son église à cause de son interprétation de la cène, a conservé les tendances hardies de cette secte et son impatience de toute autorité. « Voyez, s’écrie-t-il dans une apostrophe ironique, ces nobles intelligences ! elles n’osent écouter Dieu lui-même à moins qu’il ne parle la phraséologie de je ne sais quel David, Jérémie ou Paul. » À Boston, centre et métropole des unitaires, Emerson a prononcé quelques discours pleins d’éloquence sur les tendances contemporaines. En 1844, il a écrit une brochure sur l’Émancipation des nègres dans les colonies anglaises de l’Inde occidentale. Il rédige une publication périodique