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infidélités historiques qui abondent dans la création de Rubi, il sera impossible de méconnaître ce qu’il y a de vérité humaine et d’intérêt dans la reproduction de ce personnage à des époques si différentes, dans le contraste des situations où le montrent successivement les deux parties de la Roue de la fortune. Suivez Somodevilla dans ces deux comédies dont il est le héros et où se reflètent l’aurore et le déclin de sa destinée : dans la première, tout lui sourit ; la vie s’ouvre devant sa jeunesse intelligente, et les obstacles ne sont pour lui qu’un stimulant. Il marche la flamme au front, poussé par ses instincts de grandeur, tout brillant de fierté. Le génie et l’amour se confondent, pour ainsi dire, dans son ame, et s’accordent pour désigner un même but à ses efforts. S’il est aimé, c’est vraiment pour lui-même et non pour son rang et sa richesse. Telle est l’affection dévouée et désintéressée de doña Clara, qui vient le chercher lorsqu’il n’est rien encore. S’il s’élève au-dessus du vulgaire, c’est par la séduction qu’exerce son mérite : les inimitiés n’ont pas eu le temps de croître autour de lui, d’entraver son essor, et le succès est le dénoûment naturel de cette première période de sa vie. Il n’en est plus ainsi dans la seconde phase que peint le poète. Tout change alors ; les ressorts généreux de l’ame se détendent ; les sentimens n’ont plus la même signification. Les nobles désirs du bien public se transforment en prudente ambition ; l’amour n’est plus l’enivrant mobile d’autrefois, c’est un calcul ; il n’entraîne plus le cœur à quelque glorieux effort ; il peut être un obstacle au contraire, et il n’est plus considéré que comme une distraction futile. La fumée de l’orgueil monte au cerveau de celui qui naguère encore souffrait de l’orgueil des autres. Il n’a plus d’amis désintéressés, il n’a que des flatteurs qui l’abandonneront à son premier revers. La femme qui l’aimera n’aura d’autre but que de participer à sa gloire sans songer à son bonheur, comme doña Inès de Sandoval dans cette seconde partie de la Roue de la fortune. Il répudiera ses qualités premières, et il se trouvera désarmé contre les rancunes qu’il aura soulevées ; il s’abaissera jusqu’à l’intrigue pour être tout-à-fait homme de cour, et l’intrigue le vaincra. La chute qui est au bout de cette phase nouvelle est aussi logique que le succès qui couronne la première. Étrange spectacle de l’homme plein de force lorsqu’il marche à la conquête de son avenir, plein de faiblesse lorsqu’il est arrivé au faîte où il aspirait et impuissant à soutenir la prospérité durable ! Nous ne disons pas que Rubi ait tracé ce tableau dans toute sa largeur, avec toute la vigueur qu’il exige ; c’est bien assez d’avoir indiqué dans la Rueda de la fortuna les élémens heureux qui ne seraient plus à créer pour celui qui le voudrait et le pourrait tracer.

Tels sont les talens les plus estimables qui se sont révélés dans l’art