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complaisant… Il n’est pas possible de s’y tromper. Je ne sais, mais, vois-tu, à sa place, j’aurais bientôt tout deviné.
Juan. — Et comment l’aurait-on pu reconnaître ! C’était préparé avec cette dextérité irrésistible dont toute femme a le secret. Elle sut si bien éblouir son mari, que cela lui parut la chose la plus naturelle du monde…
Luis. — C’est vrai… (il se laisse aller sur sa chaise.)
Juan. — Qu’as-tu donc ?
Luis. — Moi, rien.
Juan. — Ah ! j’y suis ! Ces souvenirs !… Allons, tu as fait la folie, il faut s’y tenir. Adieu, mon cher.
Luis. — Reviendras-tu bientôt ?
Juan. — Afin d’arriver à me convertir, n’est-ce pas ?
Luis, seul et inquiet. — Le mari lui-même !… Oui, ce fut le mari ; il me présenta à sa femme de si bonne foi ! et après, quel rôle ridicule il joua ! tout Madrid le savait, excepté lui… Ah ! cela m’a donné froid. Cet Antoñito qu’elle m’a prié de lui présenter, si je vais l’introduire dans ma maison, qu’arrivera-t-il ? Si je refuse, quel prétexte donner ? Peut-être Clara s’apercevra-t-elle que je la soupçonne. Non, je ne le peux pas, parce que, si mes craintes n’ont aucun fondement, ce sera la mortifier ; si elles sont justes, ce sera la prévenir et la forcer à chercher quelque moyen plus habile. Pourtant, s’il était vrai qu’elle a formé ce damnable plan de me faire amener ici ce galant ! Elle dit bien qu’il ne songe qu’à Emilia, mais Emilia le niait, et Clara hésitait en me parlant. Il y a quelque chose, j’en suis sûr. Qu’il est bon de savoir ce que c’est que la vie ! Mon aventure le prouve ; cette candeur naïve de Rosita lorsqu’elle s’efforçait de convaincre son mari est une leçon précieuse. Quelle ruse pourrait-on inventer que je n’aie vu mettre en usage ? Ah ! l’expérience est une grande chose. Heureusement que Juan est venu me réveiller à propos… - Mais, mon Dieu ! il est donc écrit que personne ne pourra y échapper ?… »


Voilà donc cette science équivoque de l’Homme du monde ! voilà cette expérience, fruit d’une vie dissipée ! Acquise par l’habitude de la ruse, elle ne croit qu’à la ruse ; elle projette son ombre sur le reste de l’existence, flétrit tout ce qu’elle touche, provoque sans cesse le soupçon injuste, envenime les plus simples actions ; elle nourrit dans le cœur un stérile scepticisme. Dans une parole qui s’échappe, dans un sourire qui erre sur la lèvre, dans un geste, dans un mouvement de joie ou de crainte, elle cherche un motif secret et pervers, et elle se croit profonde parce qu’elle suppose partout le mal. L’homme qui possède cette triste expérience et qui persiste dans la voie où il l’a acquise n’en souffre pas sans doute ; mais celui qui se détourne tout à coup pour chercher le bonheur ailleurs que dans des dissipations où l’ame se corrompt, se débat à chaque pas sous les conseils de cette perfide science, et c’est de cette lutte que naît le drame ou la comédie. Ce qu’il y a de remarquable dans l’Hombre de mundo, c’est que chaque personnage, par son caractère, concourt au développement de l’idée principale. Nous indiquions don Juan, cette mauvaise conscience de don Luis, qui est toujours là