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« Il y a, dit Jacintha, des femmes qui aiment deux hommes à la fois ; moi, je ne les aime que l’un après l’autre. Et n’y aurait-il pas de la folie et de la cruauté à tuer le vivant pour ne point offenser le mort ? » Le nouvel amant de Jacintha, c’est don Matias, l’ami de don Pablo, qui s’est hâté de venir annoncer sa mort. Si don Pablo est le type de la générosité fougueuse qui se dévoue dans les guerres civiles, don Froïlan, autre personnage, est le type de l’égoïsme qui se réfugie en lui-même. Froïlan ne voit dans les dissensions qu’un obstacle à son bien-être ; les spectacles tristes troublent sa quiétude ; aussi préfère-t-il aller à l’opéra qu’à l’église où quelques prières funèbres vont être récitées pour don Pablo. Il ne s’émeut que lorsqu’un testament simulé vient réveiller sa cupidité et lui laisser croire un moment qu’il est l’héritier du peu de bien qui restait au mort. Il ne faut pas oublier une figure grotesque de juif, ce don Élias qui avait prêté à gros intérêts au jeune milicien pour s’équiper, et qui se lamente de sa perte. Ainsi don Pablo, qui croyait avoir des larmes à essuyer, ne trouve que l’oubli et l’égoïsme. Il reparaît indigné à l’heure même où se conclut le mariage de Jacintha et de Matias, et achève d’arracher le masque à tous ces visages, sur lesquels il peut lire la trahison et l’infidélité. Don Pablo ne découvre un sentiment sincère que chez une jeune fille, qui laisse éclater son amour, muet jusque-là, par la violence de sa douleur. Ce désenchantement cruel à côté de la révélation d’un bonheur inattendu, ce mélange d’illusions qui se détruisent et d’illusions nouvelles qui se forment comme pour entretenir l’espérance dans le cœur de l’homme et le préserver d’un mépris complet de sa propre nature, n’est-ce point la vie énergiquement résumée ? Il est bien vrai qu’un génie comique supérieur aurait pu mettre une animation plus sérieuse dans son œuvre, pénétrer davantage dans la profondeur de cette donnée, imprimer aux caractères plus de vigueur et d’accent ; Molière ou Shakespeare l’eussent fait sans doute. L’idée même, cependant, témoigne d’une hardiesse d’invention qui n’est point vulgaire, et, dans l’esquisse qu’a tracée Breton de los Herreros, il y a du moins, à défaut de qualités plus hautes, l’esprit, la facilité et la verve qui caractérisent toujours son talent.

Si une visible incertitude signale d’ailleurs les tentatives comiques des écrivains nouveaux de l’Espagne, de Breton de los Herreros comme de Ventura de la Vega et de Rubi, il ne faut point s’en étonner. Cette incertitude est commune à tous les esprits qui travaillent au progrès littéraire du pays ; elle tient à la transformation morale qui s’accomplit et à la confusion qui régnera jusqu’à ce que cette transformation soit complètement réalisée dans les idées et dans les mœurs. Or, c’est sur la comédie que doit plus particulièrement peser l’inconsistance qui fait qu’aujourd’hui au-delà des Pyrénées rien n’est à sa place, rien n’est stable, rien n’a un lendemain ; cette inconsistance défie et paralyse l’observa-