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tour à tour avec tant de calme et un abandon si habile, qu’elles défient la clairvoyance la plus pénétrante ; elles croient aux sermens du jour et les oublient si bien le lendemain, que celui-là serait ridicule et cruel qui viendrait les leur rappeler. L’amour chez elles est un goût qui cède à un goût plus vif et plus nouveau. C’est une passion, pour ainsi dire, à fleur de cœur ; ne craignez pas qu’elle trouble leur vie, qu’elle s’empare de toutes leurs facultés, qu’elle mette des larmes dans leurs yeux, qu’elle soulève leur poitrine et qu’elle suggère à leur ame la pensée du dévouement et du sacrifice. Troubles, déchiremens, larmes, inquiétudes et abnégations, tout cela est chassé d’un coup d’éventail ; il ne reste que la sérénité sur leur front, le sourire sur leurs lèvres, et dans leur ame le désir de voler à de nouveaux triomphes. Shakespeare avait résumé ce caractère d’un trait amer : « Perfide comme l’onde ! » avait-il dit ; ce mot est ici applicable, en un sens moins profond seulement. La légèreté féminine, telle que Breton la peint, peut bien ressembler à l’inconstance de ces vagues dont un souffle du soir ride la surface, mais l’onde ne recèle ni abîmes prêts à s’ouvrir, ni tempêtes toujours prêtes à éclater. Ici la ruse a sa grace ; la coquetterie ne soulève pas autour d’elle l’amertume des déceptions, parce qu’elle n’emprunte pas un accent passionné et trompeur, parce qu’elle ne promet pas l’attrait des suprêmes et durables voluptés de l’ame. Cette perfidie souriante amuse plus qu’elle n’offense. L’originalité de l’auteur, c’est d’analyser et de décrire avec une habileté très hardie ce côté peu profond de la nature morale de la femme ; nul talent n’est plus propre à reproduire ce mélange de vice et de grace, qui est le fonds de la coquetterie. La souplesse rapide et nerveuse de son style est une convenance de plus dans un tel tableau. Cela dit, il ne faut pas croire cependant que cet élément forme l’unique intérêt des comédies de Breton de los Herreros. À côté de ces héroïnes dont la figure trahit une même pensée sous une expression différente, les portraits abondent au contraire. Voyez, dans le Poil de la prairie, ce caractère si nettement tracé de don Frutos ; dans Marcela, ce type de l’élégance oisive et puérile qui ne s’occupe que de la mode nouvelle importée de France et s’amollit dans la futilité ; cet officier andaloux vain et bavard qui parle certes plus qu’il n’agit, et qui rappelle cet intermède de Cervantès, — les Dos Habladorès, — où Roldan épie chaque mot de son interlocuteur pour y ajuster une histoire, en remontant au principe des choses. Dans le Tercero en discordia, c’est ce bonhomme don Ciriaco, fort occupé d’avoir un avis à lui, et qui finit toujours par accepter et trouver bon le dernier qu’on lui présente. C’est don Saturio, personnification de la fatuité impertinente qui ne se dément jamais et se croit appelée à tous les succès. Don Saturio rêve même la gloire de la comédie : son nom retentira au théâtre, il n’en doute pas, et il déduit les raisons de ce succès infaillible d’une manière qui va frapper