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pas sans intérêt, c’est que la plupart des poètes de quelque valeur, ceux-là mêmes que la nature de leur talent devait porter de préférence à reproduire les passions tragiques, ont tenté tour à tour, chacun dans la mesure de son esprit, de féconder le domaine comique. Zorrilla, le plus grand lyrique espagnol de ce siècle et l’auteur de ce drame hardi et vigoureux, le Savetier et le Roi, où revit la figure si caractéristique de don Pèdre-le-Justicier, a essayé de faire des comédies, et renouvelait encore son essai il y a peu de jours, bien qu’il n’ait obtenu dans ce genre que des succès douteux. Le duc de Rivas, le rénovateur du poème, qui a si énergiquement peint la sombre, l’inexorable fatalité dans don Alvaro ou la Force du Destin, en même temps qu’il écrivait le Bâtard maure, a fait une étude comique, spirituelle et tristement vraie, dans le Prix de l’Argent, — Tanto vales cuanto tienes. Gil y Zarate, l’écrivain le plus habile à mettre en jeu les ressorts tragiques, à combiner les effets d’un drame, a écrit une œuvre qui rappelle celles de Moratin, Un an après la noce. Il est des noms enfin qui appartiennent exclusivement à la comédie : ce sont ceux de Breton de los Herreros, de Ventura de la Vega, de Rodriguez Rubi. Veut-on connaître les traits principaux qui distinguent ces tentatives et en général le mouvement dramatique moderne de l’Espagne ? Une double influence se fait sentir dans cette renaissance contemporaine ; on peut apercevoir deux tendances, — d’un côté, le désir élevé et généreux de renouer les traditions anciennes, de ressaisir l’originalité nationale si long-temps oubliée et si puissamment mise en lumière par la critique moderne, — de l’autre, l’inévitable penchant à subir la prépondérance littéraire de la France, à se laisser diriger par elle dans les routes nouvelles qu’elle s’est ouvertes après l’avoir suivie dans la voie classique et régulière au XVIIIe siècle ; double influence qui cache un double écueil pour les esprits ! Remonter, en effet, aveuglément vers le passé, chercher à restaurer cette splendeur d’un autre temps, cette originalité poétique née d’un concours de circonstances qui ne reviendront pas, n’est-ce point risquer de tomber dans un archaïsme oiseux et puéril ? Zorrilla n’a pas toujours évité ce danger dans ses œuvres comiques. D’un autre côté, avoir l’œil sans cesse fixé sur la France pour vivre de sa pensée, pour lui emprunter ses succès, pour imiter servilement ses productions, n’est-ce point perpétuer pour l’Espagne un régime d’inanition et de faiblesse intellectuelle ? C’est à quoi tendent ces arrangeurs vulgaires qui encombrent la scène espagnole de traductions. Il y a cependant un milieu à saisir, qui consisterait à fondre dans une élaboration nouvelle ce qui peut survivre de l’originalité ancienne et ce que le génie espagnol a pu gagner au contact prolongé du génie français. Les œuvres de Breton de los Herreros, de Ventura de la Vega, de Rodriguez Rubi, ont-elles, spécialement dans la comédie, résolu ce problème ? Les au-