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sans les connaître, ont mis une vive et franche originalité. Ce n’est donc qu’une bien lointaine ressemblance, et les analogies que la curiosité critique peut découvrir ne sauraient elles-mêmes donner qu’une idée imparfaite de ce théâtre comique, dont la fantaisie est l’ame, pour ainsi parler, — la fantaisie, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus insaisissable dans la poésie. C’est la fantaisie, en effet, qui a créé tant de fictions heureuses ; elle se joue à l’aise dans ces intrigues que la muse de l’imprévu noue et tranche ; elle laisse son brillant reflet au front de tous les héros ; c’est elle qui préside à ces amours éclos dans une matinée de printemps. Il y a de la fantaisie dans les plus chaudes passions, dans le courage, le dévouement, dans le vice même mis en scène par les poètes. Tel est le caractère de la comédie espagnole dans sa période d’éclat, aux plus beaux jours du XVIIe siècle. Gaie, folle, libre et aventureuse, mais non vulgairement frivole, cette comédie n’est-elle pas, au reste, le fruit naturel de la société de ce temps, à laquelle un pouvoir inflexible ne permettait pas de jeter un regard trop scrutateur sur elle-même ? N’est-elle pas l’exacte représentation de ces mœurs où était venu se réfugier un esprit chevaleresque qui n’avait plus à poursuivre un but héroïque, comme aux jours des luttes nationales, de ces mœurs où on ne voit fleurir qu’une liberté, — celle de la galanterie et du plaisir ?

La comédie espagnole, dans ses destinées, ne suit point une autre loi que l’art littéraire tout entier. Elle disparaît dans ce grand naufrage de la fin du XVIIe siècle ; elle s’évanouit avec cette société dont elle était l’expression, et, lorsqu’on la voit renaître, c’est sous la livrée française qu’elle se montre. Rien n’est plus étrange que l’oubli profond où tombent tout à coup les modèles de l’ancien théâtre dans ce XVIIIe siècle qui fut pour l’Espagne un temps de lente éducation sous l’influence victorieuse de la France. La Péninsule se fait classique sur la foi de Boileau ; elle vise à la philosophie sur la foi de Voltaire. L’esprit littéraire se transforme en même temps que les mœurs. L’école de Luzan et de Montiano traduit, imite, fait passer dans la langue de Calderon les inventions régulières de notre scène. C’est un vertige qui saisit tous les peuples en certains momens et les pousse à se revêtir d’un habit étranger. Il faut voir cependant le côté fécond de ce mouvement, quant à la comédie, et observer quel principe heureux de rajeunissement la pensée française apportait avec elle, en introduisant dans l’art une manière plus philosophique d’envisager les actions des hommes et leur caractère, la moralité humaine en un mot ; il faut faire la part de l’originalité qui pouvait se produire sous des faces nouvelles. Dans ce tourbillon d’imitateurs, de traducteurs parasites, on peut, en effet, distinguer des talens réels et élevés. Sur ce fond vulgaire se détachent quelques œuvres saillantes, telles que l’Honnête criminel (el Delincuente honrado) du