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il avait choisie pour faire sa rentrée dans la capitale ; le retour du libérateur coïncidait ainsi avec l’anniversaire d’une révolution glorieuse, où il avait joué un des premiers rôles. Jamais monarque ne fut reçu avec plus de pompe que l’homme qui, par un retour de fortune si commun dans le plus capricieux des gouvernemens, rentrait en triomphateur dans une capitale d’où on avait fait, dix-huit mois auparavant, disparaître jusqu’à sa statue.

Depuis le matin, une foule immense encombrait à plus d’une lieue de Mexico le chemin que Santa-Anna devait suivre. Arrivé à une petite distance de la ville, le général monta dans le carrosse qui l’attendait ; il s’y assit à côté du docteur Fartas, ministre des finances, l’homme populaire du moment. Ce carrosse était précédé de trois chars magnifiquement ornés et montés par un groupe allégorique de jeunes enfans représentant l’union de l’armée et du peuple au sein de la liberté sous le même système fédéral, beau rêve toujours caressé et toujours déçu. Entre ces chars et la voiture triomphale marchait à pied une commission de l’illustrissime ayuntamiento, qui représentait sans allégorie le pouvoir municipal toujours écrasé entre le peuple et l’armée ; puis venait une foule immense, chamarrée comme toute foule mexicaine, et étincelante de tout l’éclat que peuvent emprunter aux rayons du soleil l’or, la soie et des haillons multicolores. Cet immense cortége de cavaliers et de voitures s’avança lentement vers Mexico, dont les dômes, couronnés de curieux, laissaient échapper de leurs ouvertures le son des cloches ébranlées à toute volée, mêlé aux salves d’artillerie, aux sifflemens des fusées, qui faisaient piaffer les chevaux et électrisaient la multitude. Une foule plus compacte encore attendait le libérateur aux portes du palais, et ce fut à peine si, au milieu de cette population enivrée, le général parvint à mettre pied à terre : il fallut tous les efforts de ses amis pour éviter qu’il ne fût littéralement enseveli dans son triomphe. Hommes, femmes, soldats, tous voulaient le toucher, l’étreindre, lui prendre la main, arriver seulement jusqu’à lui. Certes, si l’exilé de la Havane méritait les imputations qu’on ne lui a pas épargnées depuis, cette allégresse de tout un peuple dut éveiller en lui une douloureuse émotion. Santa-Anna tournait vers la foule son front pâli par la maladie, et qui semblait porter encore la trace des angoisses de l’exil, et ses regards si expressifs, ses gestes si nobles, parlaient éloquemment pour lui à défaut de cette voix sonore dont les accens avaient tant de fois provoqué l’enthousiasme. Quand il fut arrivé au palais, dans le salon de réception, le général Salas, chargé jusqu’alors de l’autorité suprême, se leva du ’siège présidentiel, s’avança pour le recevoir et lui offrir le fauteuil qu’il avait quitté ; mais Santa-Anna le refusa en disant que d’aucune façon ce siége n’était le sien, et il en prit un autre pour établir la distinction faite entre le général chef suprême de la nation et le général