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III.

Le 5 août, une dépêche de Vera-Cruz annonça l’arrivée prochaine du général Santa-Anna, et le jour suivant, à midi, le héros de Tampico mit en effet pied à terre sur la jetée au milieu des cris d’allégresse, des salves d’artillerie et des fanfares. Le Mexique semblait avoir secoué sa torpeur à la vue du général qui avait seul le secret de galvaniser ce corps inerte, et dont cependant l’insatiable ambition avait si lourdement pesé sur la république depuis vingt ans.

Bien qu’il faille tenir compte de la grandeur factice que prête à Santa-Anna l’insignifiance des hommes qui l’entourent, on ne peut méconnaître en lui des qualités qui, même en Europe, se concilient rarement avec un rôle secondaire. A une promptitude de décision admirable, Santa-Anna joint une audace à toute épreuve. De plus, connaissant à fond le caractère de ses compatriotes, il sait les faire en quelque sorte mouvoir au gré de son ambition, et joue constamment avec eux le jeu le plus téméraire. Véritable Protée politique, il a attaché son nom à toutes les révolutions du Mexique, dont il a été tour à tour l’auteur ou le prétexte. Victorieux après une défaite, vaincu après une victoire, tantôt avide de bruit et de puissance, tantôt rassasié de pouvoir ou de renommée, renversant ceux qu’il a élevés, élevant ceux qu’il a renversés, s’il n’est pas l’homme des grandes résolutions, Santa-Anna est par excellence celui des résolutions subites. Organiser, affermir le pouvoir au Mexique, ce n’est point là sa tâche ; fasciner, éblouir ses concitoyens, c’est là ce qu’il sait à merveille, et c’est à quoi il vise peut-être avant tout.

A l’époque où Santa-Anna reparaissait en libérateur dans ce pays qu’il avait quitté comme un banni, les traits principaux de son caractère s’étaient modifiés quelque peu sous l’influence des années. Ce n’était plus le jeune et bouillant officier passant avec une imperturbable audace des chances du jeu à celles des combats ; ce n’était plus le guerrillero aventureux qui traversait toute la république les armes à la main, accompagné partout du colonel Arista, jeune alors et téméraire comme lui ; adoptant toute espèce de déguisement, envahissant même un couvent à la tête de soldats vêtus en dominicains. L’exil avait calmé cette folle ardeur, et aux rêves brillans de la jeunesse avaient succédé pour Santa-Anna les sombres calculs de l’ambition.

Avant de continuer sa route vers Mexico, Santa-Anna passa quelques jours souffrant à sa campagne de Lencero, dans l’état de Vera-Cruz, dont, soit dit en passant, ses propriétés couvrent la plus grande partie. Le 15 septembre seulement, le général fut reçu à Mexico. C’était la veille des fêtes de l’indépendance mexicaine qu’avec son tact habituel