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II.

Les premières dispositions prises par Arista indiquaient un habile tacticien. D’après ses ordres, le général Torrejon, traversant le Rio-Bravo à la tête de 1,200 chevaux et de 400 fantassins, s’était jeté entre le quartier-général des Américains et la pointe de Santa-Isabel. Le passage du fleuve s’était opéré sans coup férir. Peu de jours après, les hostilités s’ouvrirent par une escarmouche insignifiante, mais où les Mexicains eurent l’avantage. Dans cette escarmouche, le lieutenant Falcon donna une nouvelle preuve de courage et d’adresse. Déguisé en marchand ambulant, il s’introduisit dans le camp américain et apprit là que les dragons de Taylor devaient pousser une reconnaissance du côté des positions de Torrejon. Le hardi batteur d’estrade s’empressa de donner cette nouvelle au général Torrejon, qui lui confia un détachement avec la mission de surprendre et de capturer les éclaireurs ennemis. Les rancheros conduits par Falcon eurent aisément raison des Américains. Quoique montés sur d’excellens chevaux, les maladroits cavaliers yankee se débandèrent et furent bientôt culbutés. Quarante-cinq hommes et deux officiers restèrent prisonniers des Mexicains. On donna la chasse aux autres dragons, qui périrent tous taillés en pièces ou noyés dans le fleuve. Il n’en fallut pas davantage pour exalter la confiance du soldat mexicain. « Plût à Dieu, écrivait alors le général Canales, que toute cette canaille fût à cheval ! A cheval, ce sont des hommes perdus. A dire vrai, ils ne savent pas se défendre, ils s’accrochent à la crinière des chevaux pour galoper, et nous autres, bien que très mal montés, nous savons leur couper la retraite et les empoigner. »

Cette affaire est la dernière où l’on voie figurer le lieutenant Falcon. A partir de ce moment, le souvenir de ce brave officier ne fut plus rappelé que dans une lettre adressée par Taylor à Ampudia, et où le général américain rendait Falcon responsable de la disparition d’un officier supérieur de son armée, le colonel Cross. Cette fois, du moins, on accusait Falcon à tort. Une lettre d’un habitant de Matamoros au général Bustamante, annexée aux bulletins de l’armée, constata qu’un paysan mexicain avait poignardé le colonel Cross dans un accès de jalousie conjugale.

Un résultat plus important que ce fait d’armes, c’était le passage du Rio-Bravo opéré par Torrejon, c’était la position prise par ce général entre le camp américain et la pointe de Santa-Isabel. Les Mexicains avaient, par ce mouvement hardi, coupé la ligne de communication des Américains avec la mer ; ils les avaient privés des secours de leur escadre. Si, comme on l’espérait, les généraux Arista et Torrejon eussent attaqué simultanément l’ennemi sur les deux rives du Rio-Bravo, les