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comme un bassin plein d’eau dont la surface est gelée. Aussi n’hésitâmes-nous pas un instant à imiter les patineurs. Nous descendîmes sans trop de peine dans l’intérieur du cratère, et ce fut sur un large bloc placé à dix pas du petit cône que nous nous installâmes pour manger un poulet froid arrosé de vin de Capri.

En arrivant aux bords du cirque, nous avions aperçu, malgré l’éclat du jour, les teintes rouges de la lave à travers quelques fentes ; nous avions vu quelques blocs s’ébranler, comme sous les efforts d’une main invisible. Parfois aussi, une détonation sourde se faisait entendre dans les flancs de la montagne. Pendant notre dîner, les clartés devinrent plus nombreuses, plus vives, vers le bord oriental du cratère, à environ cinquante pas de nous. Évidemment quelque chose se préparait. Les détonations qui partaient sous nos pieds étaient plus fréquentes et plus fortes ; les scories lancées par le petit volcan s’élevaient plus haut, et dans leur chute, dépassaient quelquefois le pourtour du cône. La croûte solide qui nous portait faisait entendre des craquemens, et quelques blocs mal assis se renversaient. À ce moment, le sol commença à élever à une quarantaine de pas de nous. Au bout d’une heure environ, au lieu de présenter une surface à peu près horizontale, comme au moment de notre arrivée, il formait, contre le bord oriental du cratère, un talus arrondi de dix à douze pieds de hauteur. Plusieurs ouvertures se firent sur cette pente ; mais bientôt elles se réduisirent à trois, puis à une seule. Une lave parfaitement liquide sortit par cet orifice et se dirigea droit vers nous. À son origine, ce ruisseau embrasé pouvait avoir quatre ou cinq pieds de large tout au plus, et sa teinte était d’un beau blanc éblouissant ; mais il s’élargissait considérablement dans sa course et prenait une couleur rouge foncé. Au bout de deux heures environ, il nous avait atteints et nous reculions pas à pas devant lui. En même temps le cratère tout entier semblait se réveiller. Toutes les fentes s’éclairaient ; le bloc qui nous avait servi de table se teignait à sa base d’une teinte rougeâtre. La chaleur devenait de plus en plus forte. C’était une véritable débâcle, occasionnée par l’afflux des matières liquides qui s’élevaient des abîmes du volcan. Il fallut songer à la retraite. Quand nous regagnâmes le bord, un sixième au moins de cette surface, naguère solide, était en fusion, et évidemment les blocs mêmes où nous marchions, encore soudés les uns aux autres, ne formaient qu’un simple plancher porté par ce lac de feu, comme un glaçon qui tient encore au rivage.

Certes, il y a loin de ce qui précède aux grandes éruptions de l’Etna, cependant la différence est plus apparente que réelle. Les phénomènes sont au fond les mêmes, et ne diffèrent que par le plus ou moins d’intensité. Le petit cône de quarante pieds de haut, tout comme la montagne de dix mille pieds, servait de soupirail à l’agent intérieur, et lançait