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L’Espagne offre quelquefois le spectacle de bien des agitations, insurrections violentes, crises ministérielles sans motif, brusques reviremens de pouvoir, et cependant, il faut le dire, ces mouvemens auxquels on est habitué, quelque affligeans qu’ils soient et funestes pour le pays, ont moins de gravité que l’espèce de calme qui règne aujourd’hui. La Péninsule, en effet, jouit en apparence de la plus grande tranquillité. La faction carliste, qui s’était relevée en Catalogne, a été vaincue ; quelques bandes qui ont parcouru la Castille sous ce drapeau sans force ont été dispersées. Le gouvernement n’a aucun embarras extérieur ; il n’a point à lutter contre les chambres, il a pris soin de s’en délivrer en les prorogeant, et il ne paraît pas songer à les rappeler. M. Salamanca continue à faire des règlemens, à réorganiser l’administration des finances pour placer ses amis de bourse, ses cliens ; il fait des emprunts, aggrave la situation du pays. Les impôts vont être illégalement perçus, puisque l’autorisation accordée par les pouvoirs législatifs pour les recouvrer expire en ce moment. Comme on voit, l’administration dont M. Pacheco est le chef n’a pas une existence fort brillante. Après avoir porté jusqu’à la rigueur le culte des principes constitutionnels, le président du conseil espagnol paraît les avoir singulièrement oubliés ; mais ceci ne serait rien encore, si le repos factice où le cabinet Pacheco maintient pour le moment l’Espagne ne cachait des désordres déplorables, plus tristes que les désordres de la rue. C’est dans les plus hautes régions du pouvoir, au sein du palais même, que s’est glissée l’anarchie. Ce sont des faits malheureusement trop notoires pour qu’il soit permis de les passer sous silence et de ne point examiner la situation étrange qu’ils font à la reine Isabelle elle-même et au ministère qui en accepte la responsabilité.

Nous ne voulons pas ajouter une foi entière à tous les bruits propagés par la presse d’Angleterre, de France et d’Espagne. Il y a cependant une circonstance que nul ne peut nier, c’est que depuis assez long-temps déjà le roi don Francisco vit entièrement séparé de la reine Isabelle ; il s’est retiré au Pardo, et n’a plus voulu reparaître au palais de Madrid, malgré les instances faites auprès de lui ; aucune démarche n’a pu vaincre sa résolution à cet égard. Cette mésintelligence s’est assez envenimée pour être aujourd’hui la principale question qui se débatte au-delà des Pyrénées, et il n’est pas besoin d’insister sur les résultats qu’elle peut avoir. Le cabinet actuel de Madrid cherche à attribuer cette mésintelligence au roi, aux prétentions qu’il aurait élevées, en un mot à des discussions intérieures d’autorité entre ce prince et la reine ; il insinue que les cabinets précédens ont vu naître ces discussions, et qu’ils ont voulu les résoudre contre la reine, contre la loi politique, en s’appuyant sur le parlement, qu’ils auraient saisi de cette affaire, mais qu’ils ont été arrêtés dans cette entreprise. Ces allégations, qui se sont produites dans un journal ministériel, ont reçu la dénégation la plus formelle de tous les hommes qui ont composé les cabinets précédens. La cause unique de la mésintelligence qui a éclaté entre Isabelle et don Francisco, il faut le dire, n’est point là ; le seul motif qui les tient encore divisés, c’est qu’il existe malheureusement aujourd’hui une influence auprès de la reine qui ne devrait point exister. Cette influence, tous les journaux modérés et progressistes s’accordent pour la signaler ; le ministère lui-même, dans un moment où il la redoutait, la fit dénoncer par un de ses amis dans des lettres datées d’Aranjuez et adressées au Tiempo ;