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c’est l’histoire de la nouvelle philosophie allemande. M. Wilm, qui vient de l’entreprendre, est, comme M. Damiron, un de ces écrivains qu’on aime à louer, parce qu’on est sûr d’aller toujours au-delà de leurs prétentions et qu’on les sait plus jaloux de mériter l’estime que de l’obtenir. Hâtons-nous donc de dire que l’ouvrage de M. Wilm est un des travaux les plus étendus, les plus consciencieux et les plus utiles qui aient paru depuis long-temps. En 1836, l’Académie des Sciences morales et politiques mit au concours ce magnifique sujet : 1° Faire connaître par des analyses étendues les principaux systèmes qui ont paru en Allemagne depuis liant, inclusivement, jusqu’à nos jours ; 2° s’attacher surtout au système de Kant, qui est le principe de tous les autres ; 3° apprécier la philosophie allemande, discuter les principes sur lesquels elle repose, les méthodes qu’elle emploie, les résultats auxquels elle est parvenue ; rechercher la part d’erreurs et la part de vérités qui s’y rencontrent, et ce qui, en dernière analyse, peut légitimement subsister, sous une forme ou sous une autre, du mouvement philosophique de l’Allemagne moderne.

Voilà un cadre merveilleux et qui était tout prêt à recevoir une œuvre de génie. Mais les couvres de génie ne se commandent pas à terme fixe. L’Académie attendit deux ans, puis deux ans encore, puis enfin quatre ans. En 1844 seulement, elle put disposer de cette couronne qu’elle avait tenue si haut, et, à défaut d’un livre supérieur, elle en honora avec justice l’œuvre excellente d’un critique judicieux. Placé entre l’Allemagne et la France, dans une cité à moitié germanique, Strasbourg, M. Wilm, Allemand lui-même par la bonne foi, la droiture, la recherche patiente et désintéressée, tout Français d’ailleurs par le bon sens et la netteté de son esprit, M. Wilm, dis-je, était naturellement appelé à donner à la France une histoire de la philosophie allemande. La couronne de l’Académie, en allant le chercher dans l’obscurité laborieuse de sa province, loin de l’éblouir, lui a fait sentir plus vivement ses devoirs envers le public. Il a eu à cœur de perfectionner encore un travail déjà protégé par l’estime d’une illustre compagnie, et c’est ce qui explique que nous n’ayons encore que les deux premiers volumes d’un livre qui en formera quatre. M. Wilm a consacré un volume et plus à Kant, comme de raison ; le reste se partage entre Fichte et Jacobi. La suite de l’ouvrage nous donnera Schelling[1], Herbart et Hegel.

Ainsi que M. de Rémusat l’a fait observer dans son remarquable rapport à l’Académie, la division adoptée par M. Wilm a quelque chose d’un peu artificiel. D’un côté, la première phase de la philosophie allemande avec Kant et Fichte pour représentans et Jacobi pour contradicteur ; de l’autre, la seconde phase, représentée par Schelling et Hegel, et signalée par l’opposition de Herbart. Cette symétrie est factice ; j’ajoute qu’elle est exclusive. A la rigueur, pour répondre au programme de l’Académie, on pouvait s’en tenir à six philosophes éminens ; mais cela ne suffit pas pour satisfaire aux conditions qu’impose un titre comme celui-ci : Histoire de la philosophie allemande, depuis Kant jusqu’à Hegel.

  1. En attendant cette exposition complète de la première et de la seconde philosophie de M. Schelling, on lira avec intérêt un livre que vient de publier M. Bénard, sous ce titre : Schelling, écrits philosophiques et morceaux propres à donner une idée générale de son système. Chez Joubert, rue des Grés, 14.