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par laquelle Vénus s’est engagée ! Et cette promesse, ne sont-ce pas bien les paroles mêmes de Vénus ? Quelles autres a-t-elle pu prononcer, si ce n’est celles-là ? Qui veux-tu que j’enlace dans ton amour, ô Sappho ! S’il te fuit, il te poursuivra… Et ce dernier trait si habile encore, que Racine fait mieux comprendre en le développant ; Phèdre aussi adresse une prière à Vénus, une prière toute pleine d’amertume ; et, comme Sappho, elle essaie d’intéresser Vénus dans son amour :

Déesse, venge-nous ; nos causes sont pareilles !

Presque toutes les poésies de Sappho ne respirent que l’amour ou Vénus :

« Viens, déesse de Cypre, verser dans des coupes d’or un nectar mêlé de douces joies à mes amis, qui sont aussi les tiens. »

« O Vénus à la couronne d’or, puissé-je gagner la partie !… »

« Je te donnerai une chèvre blanche, et je te ferai des libations… »

« Pour moi, j’aimerai la volupté tant que j’aurai le bonheur de voir la brillante lumière du soleil et de contempler ce qui est beau. »

« L’amour brise mon ame comme le vent renverse les chênes dans les montagnes. »

Par intervalles, au milieu de sa passion, elle laisse échapper un regret, triste à la fois et gracieux :

« Virginité ! virginité ! tu me quittes ; où t’en vas-tu ? »


Et la virginité lui répond :

« Je ne reviendrai plus à toi jamais, à toi je ne reviendrai plus[1]. »

Mais la passion reprend aussitôt, et le regret s’efface.

« Je regrette, puis je désire. » - « Mes pensées se partagent, et je ne sais ce que je poursuis. » -« Tiens-toi debout devant moi, ô mon ami ! et déploie la grace de tes regards. »

Cela n’est-il pas biblique ? et ce qui suit encore davantage ?

« … Plus délicat que le narcisse,… » - « D’un parfum royal… » - « Ton visage est doré comme le miel. » - « A quoi donc, ô mon bien-aimé, te comparer justement ? C’est à une branche gracieuse que je te comparerai. »

On croit lire le Cantique des Cantiques, cette fraîche églogue d’amour, qu’on s’est évertué à expliquer dans un sens mystique bien vainement ; qu’on se rappelle ces versets : « Ta taille est semblable à un palmier… Au son de ta voix, mon ame se fond… Je me pâme d’amour… »

On voit aussi figurer souvent dans les vers de Sappho les banquets et les coupes ; on sait que chez les anciens amare et potare sont deux mots souvent unis. On appelait le vin le lait de Vénus.

  1. André Chénier a rendu ces deux jolis vers par quatre qui ne sont pas heureux ; on n’eût pas dû les imprimer.