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voulut tout quitter pour aller vivre avec lui. En vain ses parens lui firent des représentations sur sa folie, en vain Cratès lui-même lui mit devant les yeux sa misère et sa difformité : elle répondit qu’elle ne pouvait trouver un mari ni plus riche ni plus beau qu’un tel philosophe, et qu’elle était décidée à le suivre partout. Alors Cratès la conduisit dans le Poecile, un des portiques d’Athènes les plus fréquentés, et c’est là, en public et à la face du soleil, que le mariage fut consommé. On ajoute qu’un ami de Cratès jeta son manteau sur les époux. Saint Augustin a dit sur ce manteau des choses bien étranges[1]. C’est en mémoire de ce fait que l’on célébra depuis, dans le Poecile, la fête des Cynogamies (noces des chiens ou des cyniques). Hipparchie écrivit des ouvrages philosophiques. -Nommons encore la brave Leana, la lionne, amante d’Harmodios, à qui la torture ne put arracher une délation, et à qui on éleva une colonne, comme souvenir national ; la belle Naïs, dont le rhéteur Alcidamas d’Élée composa l’éloge ; l’espiègle Gnathaena ; Archaeanassa, amante de Platon ; Herpyllis, amante d’Aristote, qui eut d’elle son fils Nicomaque ; Léonce, maîtresse d’Épicure, puis de son disciple Métrodore, qui eut une fille, nommée Danaé, courtisane aussi ; Néméa, maîtresse d’Alcibiade, lequel se fit peindre assis sur ses genoux ; Pythionice, amante d’Harpale, qui lui éleva près d’Athènes un monument de dimensions colossales ; Glycère, qui succéda à Pythionice, à qui, pendant sa vie, on rendit des honneurs comme à une reine, à qui, après sa mort, on éleva une statue d’airain (aujourd’hui on s’attelle au carrosse des danseuses, mais on ne leur élève plus que des statuettes) ; une autre Glycère encore, diseuse de bons mots un peu forts ; Callixena, que Philippe et Olympias donnèrent à leur fils Alexandre ; Thaïs, qui, avec ce roi, incendia Persépolis au sortir d’une orgie, qui donna deux enfans à un roi d’Égypte et une reine aux Cypriotes, comme plusieurs autres courtisanes d’Ionie avaient mêlé leur sang, chez les Parthes, à la famille royale des Arsacides ; Lamia, maîtresse de Démétrios preneur de villes, lequel un jour imposa tout d’un coup un tribut énorme aux Athéniens au profit d’elle et de ses femmes, afin qu’elles s’achetassent des savons et des parfums ; enfin les danseuses Aristonice, Agathoclea, OEnanthe, qui virent aussi des rois à leurs pieds, et cent autres dont les noms charmans mériteraient seuls l’immortalité, Branche-de-Myrte, Petite-Abeille, Feston-de-Vigne, si l’on osait ainsi les traduire en français.

Voilà ce qu’étaient les courtisanes grecques. On voit que la plupart d’entre elles ne tinrent pas une place moins distinguée que Marion, Ninon et Mme de Pompadour. Cela posé, nous allons pouvoir dire ce que Sappho nous paraît être.

  1. Cité de Dieu XIV, 20.