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une guerre désastreuse à son pays. La puissante séduction qu’elle exerçait sur l’orgueilleux Périclès lui valut encore les surnoms d’Omphale et de Déjanire. Son influence, cependant, ne fut pas toujours malheureuse : c’est elle qui, par le pouvoir de sa philosophie et de son éloquence, sut réconcilier avec sa femme Xénophon, l’illustre capitaine et l’écrivain distingué qui fit et écrivit la retraite des dix mille. Lucien vante l’habileté d’Aspasie dans les affaires et son extrême sagacité en politique ; si bien qu’il n’est pas impossible que la diplomatie, c’est-à-dire, d’après les racines grecques, la science d’écrire et de parler double, ait été inventée par une femme. Platon, dans son Ménexène, fait dire à Socrate qu’il la croit l’auteur de la fameuse oraison funèbre prononcée par Périclès, et en rapporte une qu’il prétend lui avoir entendu prononcer à elle-même le jour précédent. Ne serait-ce qu’une plaisanterie, une ironie socratique ? Mais cela est encore attesté par d’autres témoignages. Aspasie ayant été accusée d’impiété, Périclès, par ses prières et même par ses larmes, la fit absoudre. Au reste, elle l’aimait comme elle en était aimée ; elle s’était embarquée avec lui sur la flotte qui fit la conquête de Samos. Il n’est donc pas croyable qu’elle fit pour Périclès ce que firent Livie pour Auguste, Mme de Pompadour pour Louis XV, et qu’elle institua une espèce de Parc-aux-Cerfs destiné à pourvoir aux plaisirs de son époux ou de son amant. Ce que Plutarque raconte là-dessus doit vraisemblablement être rapporté à une autre Aspasie, qui était de Mégare, et qui ne racheta par aucun esprit sa vie débauchée. La nôtre était venue de Milet à Athènes avec une certaine Thargélie, remarquable aussi par sa beauté et par ses talens, qui, après avoir été l’amante de plusieurs Grecs illustres, finit par épouser un roi de Thessalie.

Phryné était née à Thespies : Béotienne, elle devait avoir moins d’esprit qui Aspasie, et elle ne joua pas un si grand rôle ; mais elle était fort belle et fort riche des revenus de sa beauté. Elle offrit, dit-on, de rebâtir à ses frais les murs de Thèbes, à condition qu’on y mettrait cette inscription : « Alexandre l’a détruite, Phryné l’a rebâtie. » C’eût été un peu comme la fille du roi d’Égypte Chéops, qui, à ce que rapporte Hérodote, ayant exigé de chacun de ses amans une pierre de taille, en construisit la grande pyramide ; cela n’eût pas mal rappelé non plus les murailles de Paris dans Rabelais. On refusa la proposition de Phryné. Le célèbre orateur Hypéride, s’étant chargé de la défendre dans un procès (nous voyons que les courtisanes avaient beaucoup d’affaires avec la justice), s’avisa, pour gagner sa cause, d’un moyen très neuf. En achevant sa péroraison, tout à coup il saisit Phryné par la main, la fit avancer devant les juges et lui découvrit le sein. Les juges demeurèrent ébahis, comme Louis XIII devant Marion de Lorme. Tout fut dit. « Elle était surtout fort belle (au témoignage d’Athénée) dans ce qui