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condition inégale qui fut assignée chez les Grecs à un être considéré comme tellement inférieur ? À Sparte seulement, la condition de la femme fut un peu différente, la législation de Lycurgue lui donnant un rôle politique ; mais, à Athènes et dans les autres républiques de la Grèce, elle fut telle que nous avons dit. Dans l’Economique de Xénophon, Socrate demande à Ischomaque si sa femme a appris de ses parens à gouverner une maison. « Eh ! que pouvait-elle savoir quand je l’ai prise, répond Ischomaque, puisqu’elle n’avait pas encore quinze ans, et qu’on avait jusque-là veillé avec le plus grand soin à ce qu’elle ne pût voir, entendre, apprendre que le moins de choses possible ? N’était-ce pas assez de trouver en elle une femme qui sût filer de la laine pour faire des vêtemens et surveiller le travail des servantes ? » Voilà tout ce que la jeune fille avait appris de ses parens ; elle apprenait de son époux à commander les esclaves, elle les soignait quand ils étaient malades, elle avait des enfans, elle les élevait et elle administrait la maison. Homère, pour désigner les épouses, se sert de cette périphrase (Odyssée, VII, 68) : « Les femmes qui gouvernent la maison sous les ordres de leur mari. » Phidias avait donné pour attribut à sa Vénus d’Élide une tortue et à sa Minerve un serpent, pour indiquer que les jeunes filles doivent vivre renfermées et que les femmes mariées doivent garder leur maison et vivre en silence. « Je hais une savante, dit Hippolyte dans Euripide ; loin de moi et de ma maison celle qui élève son esprit plus qu’il ne convient à une femme. » Tout le monde enfin connaît les vers de Juvénal, qui pourraient servir d’épigraphe aux Femmes savantes de Molière.

Ainsi donc les courtisanes seules pouvaient être musiciennes, lettrées, philosophes. Il y eut bien quelques femmes vertueuses qui s’occupèrent de philosophie, par exemple la femme et la sœur de Pythagore, Théano et Thémistoclée, puis les quatre filles du même philosophe, puis les cinq filles de Diodore, maître de Zénon de Cittion, et enfin la célèbre Hypatie, qui vécut en sage et qui mourut en martyr : nous nommerons aussi avec Sappho quelques femmes poètes, qui peut-être ne furent pas toutes courtisanes ; mais ce sont des exceptions. Encore peut-on expliquer la plupart de ces exceptions par un prosélytisme de famille, qui fit de ces femmes des philosophes de ménage, sous les ordres, comme toujours, de leurs parens et de leur mari. — Quoi qu’il en soit, les courtisanes seules pouvaient recevoir chez elles les hommes d’état, les gens de finance, les poètes, les artistes, exercer quelque influence sur l’opinion et même sur les affaires. C’est chez elles que les fils de famille allaient dépenser en banquets et en fêtes tout l’argent qu’ils ne mettaient pas à des chevaux, à des chiens et à des combats de coqs. C’étaient elles qui tenaient le dé, qui faisaient la mode et les réputations, qui décidaient sur les tragédies ou sur les comédies des dernières fêtes de Bacchus, ou sur le dernier conte milésiaque qui avait paru (ces contes