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idées, les seuls salons ou les seuls cercles d’alors. En effet, quelle était dans l’antiquité la condition légitime de la femme ? Elle était élevée dans une ignorance presque complète ; elle vivait à l’écart dans le gynécée. Filer de la laine, faire des vêtemens, distribuer leur tâche aux servantes, servante elle-même, peu s’en faut, ou intendante, pour ne rien outrer, telles étaient ses occupations. Le gnomique Phocylide, et bien d’autres après lui, recommandent de tenir la jeune fille sous les verrous, invisible jusqu’à son mariage. En sortant de la maison maternelle pour entrer dans la maison d’un époux, la jeune fille ne faisait que passer d’un gynécée dans un autre. La fiancée montait sur un char, entre le fiancé et le garçon d’honneur ; on portait alentour les flambeaux d’hyménée, et, lorsqu’on était arrivé à la maison que devaient habiter les époux, avec ces flambeaux on brûlait devant la porte l’essieu du char ; cela signifiait que la jeune épouse entrait dans la maison pour n’en plus sortir. Toutefois il ne faut pas prendre ce mot au pied de la lettre ; mais la réclusion intellectuelle et morale, pire que l’esclavage physique, tel était le sort de la femme que l’on appelait libre. Sa liberté corporelle même n’existait guère que de nom. Son père et sa mère la livraient à son époux presque comme une chose. « Jeune fille, dit Catulle dans un chant d’hyménée, tu ne dois pas résister à celui à qui ton père t’a livrée, ton père et ta mère à qui il faut obéir ! Ta virginité n’est pas à toi seule, elle est en partie à tes parens : un tiers a été donné à ton père, un tiers à ta mère, un tiers seulement est à toi ; ils sont deux contre toi, et ils ont donné leur part à leur gendre, ne lui résiste point. » Le tour gracieux et spirituel ne rachète pas ce qu’il y a de dur au fond de cette idée. Filles, épouses, mères de famille, — comme Périclès, dans l’oraison funèbre que lui prête Thucydide, le dit aux veuves des guerriers morts, — « toute la gloire des femmes devait se réduire à faire parler d’elles le moins possible, soit en mal, soit en bien. » Ainsi l’homme s’est réservé le droit de vivre réellement, le droit de penser et de sentir ; la femme n’est pas un être semblable à lui. Que dit l’esprit élevé de Platon ? « Il est vraisemblable que les hommes lâches seront changés en femmes à la seconde naissance. » Que dit le poète Simonide d’Amorgos, pour ne point citer tous les autres, excepté Homère ? La nature de la femme est formée, selon lui, de dix élémens, ou bien il y a dix espèces de femmes : la première tient de la truie fangeuse, la seconde du renard rusé, la troisième de la chienne hargneuse, la quatrième de la terre brute, la cinquième de la mer capricieuse, la sixième de l’âne entêté et coureur, la septième de la belette maigre et voleuse, la huitième du cheval à la belle crinière, la neuvième de la guenon laide et méchante, la dixième enfin de l’industrieuse abeille. Cette analyse forme une centaine de vers très pittoresques. A part la forme plus qu’hyperbolique, telle est à peu près, au sujet de la femme, la pensée de l’antiquité tout entière. Peut-on s’étonner après cela de la