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Lesbos. On ne dit pas qu’elles soient musiciennes ou poètes, la civilisation à cette époque n’est pas encore très avancée, mais elles sont belles entre toutes les femmes, et elles sont habiles dans les beaux ouvrages, c’est-à-dire à filer, ou à broder des voiles, ou à faire des tapisseries. — Vraisemblablement, ce n’était pas seulement chez les Grecs que de tels concours avaient lieu ; on dirait du moins que la Bible mentionne quelque chose d’analogue à propos d’Esther et d’Assuérus :

De l’Inde à l’Hellespont ses esclaves coururent ;
Les filles de l’Égypte à Suze comparurent ;
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.

Qui pourrait cependant t’exprimer les cabales
Que formait en ces lieux ce peuple de rivales ?


Mais ici c’est au profit d’un seul homme, sorte de sultan, que le concours a lieu : chez les Grecs, c’était au profit de tous.

On conçoit combien ces concours révélaient et produisaient de femmes admirables, et qui joignaient à la beauté du corps tous les agrémens de l’esprit. Au reste, le corps seul eût suffi à l’adoration de la plupart des Grecs ; cette adoration était poussée plus loin qu’on ne saurait croire. Platon, dans sa république idéale, condamne à mort ceux dont le corps est mal fait, et Lycurgue avait permis que la même chose eût lieu dans sa république réelle : les enfans mal conformés étaient jetés dans un gouffre. On n’imagine pas jusqu’où cette passion du corps pouvait aller. « Une courtisane célèbre par la beauté de sa taille est enceinte, voilà un beau modèle perdu ; le peuple est dans la désolation, on appelle Hippocrate pour la faire avorter ; il la fait tomber, elle avorte ; Athènes est dans la joie, le modèle de Vénus est sauvé. » L’art entourait de son prestige tant de corruption ; la poésie illustrait la débauche, l’esprit et la beauté couvraient tout. Sappho en sera une preuve éclatante. Lesbos et Milet étaient les deux principales pépinières de courtisanes, mais non pas les seules. Nous avons nommé aussi Corinthe, Ténédos, Abydos. Il y en avait d’autres encore, sans parler de la Lydie, où toutes les filles, comme Hérodote le raconte, se prostituaient pour s’amasser une dot, et faisaient ce métier jusqu’à leur mariage seulement. Cette dissolution se répandait de là dans toute l’Asie et dans toute la Grèce ; elle avait pénétré à Sparte même après la guerre du Péloponnèse, mais plus modérément qu’ailleurs. Les Spartiates disaient que Vénus, en traversant l’Eurotas, avait jeté son miroir, ses bracelets, sa ceinture, et qu’elle avait pris une lance et un bouclier pour entrer dans la ville de Lycurgue.

Qu’on se figure donc, au sortir de ces écoles et de ces concours, une courtisane ainsi belle, ainsi ornée de tous les talens et de toutes les graces,