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comme par enchantement. Les ayuntamientos et les députations provinciales, ces noyaux d’insurrections, à qui la législation ancienne livrait l’autorité et l’impôt, ont été réduits au rôle passif de nos conseils municipaux et de nos conseils-généraux. La nomination du sénat a été rendue à la couronne, et la couronne peut se faire de cette assemblée un auxiliaire puissant, si elle a soin de la recruter dans l’aristocratie territoriale. La propriété foncière représente, en effet, des intérêts diamétralement opposés à cette coalition d’employés et d’entrepreneurs de contrebande qui repousse le remaniement des tarifs, point de départ de la réforme financière, et qui, investie de la majorité par de mauvaises lois électorales, se retrouve invariablement au fond de toutes les crises ministérielles, de toutes les insurrections. La création d’un conseil d’état est venue opposer enfin au péculat bureaucratique, cet autre élément de désorganisation, une digue que le temps et le choix intelligent des hommes fortifieront peu à peu. Il reste encore énormément à faire, la révolution est à recommencer presque entièrement ; mais le principal instrument est trouvé, et tout semble en favoriser l’action. Le gouvernement a fait une encourageante expérience de l’audace, et l’audace est en Espagne une condition essentielle de succès. Les intérêts rétrogrades qui s’agitent encore à la surface du congrès sont tombés, en outre, dans un découragement visible : de nombreuses déceptions leur ont démontré que tout changement de ministère ou de système aboutissait invariablement aux mêmes essais de réforme, aux mêmes nécessités. Un peu de sang jeune enfin s’est infiltré dans ce vieux corps usé du libéralisme de 1812 ; la génération nouvelle, que Larra appelait à grands cris, compte déjà, dans le milieu où se recrutent ministres, sénateurs et députés, de nombreux représentans, et c’est à leur influence qu’est principalement due l’adoption des réformes fondamentales que je viens d’énumérer. L’esprit d’imitation y domine sans doute ; mais ici, du moins, l’imitation est opportune, logique, dégagée des incohérences et des réminiscences contradictoires que les vieux constitutionnels de 1812 empruntaient à l’amour-propre d’auteur. Grace aux nouveaux venus, la fraction réactionnaire de la bourgeoisie ne règne plus en droit ; l’action politique du pouvoir et de l’aristocratie est légalement constituée : il ne reste plus qu’à émanciper le peuple, à l’éclairer, à l’initier peu à peu à la vie politique, à le ramener en un mot dans le courant réformiste qu’il eût suivi de lui-même, si de maladroites défiances ne l’en avaient pas exclu. La révolution ne sera véritablement forte, véritablement féconde, que le jour où elle aura renoué l’alliance tacite et momentanément rompue de la royauté et de la démocratie.


GUSTAVE D’ALAUX.