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transitoire et perdait tout à-propos, du moment où le vide qu’elle avait été appelée à remplir n’existait plus.

Ce n’est qu’après 1814, quand l’examen succéda à l’action et que le courant régulier et pacifique des idées françaises put s’établir dans le sillon creusé par nos armées, c’est seulement alors que l’Espagne soupçonna la portée politique de cette constitution si cavalièrement escamotée par Ferdinand. Étudiant avec le calme de la sécurité le jeu intérieur de cette révolution française qui ne s’était jusque-là révélée à la Péninsule que par des envahissemens matériels ; initiée peu à peu aux doctrines libérales par le sourd travail du carbonarisme, la fraction intelligente de la nation s’aperçut, quoiqu’un peu tard, qu’à la forme représentative répondaient certaines garanties, certains droits, d’une application plus ou moins utile, plus ou moins possible dans le pays, mais dont le pays, après tout, ne s’était laissé dépouiller que par une sorte d’abus de confiance et faute d’en connaître la valeur. L’amour-propre d’auteur s’en mêla. Les membres laïques des cortès de Cadix, à leur tête Argüelles, ce Lafayette espagnol moins le cheval blanc, proclamèrent le mouvement au nom de cette même charte dont ils avaient fait naguère un élément de résistance, et, forts de leur récente popularité, forts de l’imprévoyance du clergé, qui était loin de s’attendre à la révolte de ses plus dociles auxiliaires, ils imposèrent sans trop de peine au roi la constitution de 1820. De cette époque et non de la guerre de l’indépendance date, à proprement parler, la première initiation des patriotes espagnols au principe libéral. L’émigration de 1823 compléta leur éducation théorique. Ici, du reste, se reproduisent avec plus d’intelligence, si l’on veut, mais avec la même servilité, les erremens imitateurs du groupe afrancesado. Séduits par l’accueil fraternel du libéralisme français et par l’analogie tout accidentelle que l’attitude du clergé établissait entre les oppositions des deux pays, les constitutionnels espagnols ont cru lire leur passé et leur avenir dans les précédens et dans les développemens successifs de notre vie politique. Quand l’amnistie de 1832-33 leur a rouvert la péninsule, ils rapportaient en portefeuille une Espagne de convention où ils ont pris le texte d’excellens programmes, d’excellens discours, qui n’avaient qu’un défaut : c’est de n’être pas datés de Paris et signés Laffitte ou Casimir Périer. N’importe. La vogue était pour le jargon français, et si, pour son malheur, quelque batueco renforcé paraissait s’ébahir à ce langage inconnu, il était déclaré nul ou, qui pis est, rétrograde, et comme tel obligé de céder sa place, s’il en avait une, aux « patriotes éprouvés qui avaient mangé le pain amer de l’exil ; » style du jour. Toutes les portes s’ouvraient à ces touristes de la politique. On était ex-émigré comme on est ailleurs surnuméraire. Maint pauvre diable, dont pas ame au monde ne s’inquiétait, a fait discrètement et à pied le voyage de France