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soldat de la reine se diriger vers un ruisseau au bord duquel plusieurs carlistes jouaient au monte. Comme ceux-ci faisaient mine d’accueillir l’importun à coups d’escopette : Faïziosillos, s’écria le christino, dans la nonchalance mignarde de son patois andalou, dehaïme lavar la camiza qu’hoy hé sabaho ! « Mes petits factieux, laissez-moi laver ma chemise, car c’est samedi. » - Lava, bribon ! « Lave, coquin’. » répondit une basse-taille factieuse, et le nouveau venu procéda paisiblement à sa toilette, pendant que la société reprenait le monte interrompu. En dehors des hostilités de commande que leur imposait la consigne, christinos et carlistes pactisaient dans la fraternité du bâton.

Une confusion inouie de principes et de règles qui avait érigé l’incapacité en prétention, la dilapidation en fait normal, l’illégalité en garantie, l’indiscipline en système ; la loi du plus fort substituée partout, dans les habitudes du pays, à la loi écrite, et, pour unique lien entre ces discordances sociales, l’absence même de tout esprit public, voilà donc l’effrayant chaos que la révolution avait pour tâche de remuer. Le pamphlet avait certes là une abondante moisson ; mais telle était l’autorité traditionnelle de ces contre-sens, que Larra lui-même, Larra qui en saisissait toute l’extravagance, se surprend à reculer devant la stupéfaction, les colères que son ironie cependant si douce, ses révoltes si mesurées vont ameuter contre lui. Galilée a osé dire que la terre tourne, et il proteste à genoux contre l’accusation d’hérésie. Larra n’a pas craint de laisser entendre que l’ignorance n’est pas une supériorité, que la concussion n’est pas tout-à-fait un droit, que les capitaines de huit ans sont des tacticiens médiocres, qu’on n’inocule pas l’honneur militaire à coups de bâton, et, prévoyant qu’un haro universel va s’élever du fond des Batuecas, il consacre plusieurs pages de l’avant-dernière livraison de son pamphlet à repousser humblement, sérieusement, le soupçon mortel d’étrangérisme (estrangerismo), arme ordinaire de l’esprit de résistance. « Beaucoup de gens, s’écrie-t-il, croient peut-être qu’un orgueil malentendu ou une passion inopportune et désordonnée d’étrangérisme ont fait naître en nous une tendance à médire des choses d’Espagne. Loin de nous une intention si peu patriotique… Mais nous croyons que les flatteurs des peuples, aussi bien que les flatteurs des grands, ont toujours été leurs plus dangereux ennemis ; ils ont mis à leurs dupes un bandeau sur les yeux, et, pour exploiter leur faiblesse, leur ont dit : « Vous êtes tout. » De cette lourde adulation est né le faux orgueil qui fait croire à beaucoup de nos compatriotes que nous n’avons rien à améliorer, rien à tenter, rien à envier. Nous le demandons cependant à tout homme de bonne foi, qui est le meilleur Espagnol, de l’hypocrite qui crie : « Vous êtes tout ; ne faites pas un pas pour gagner le prix, car vous voilà en avant, » ou de celui qui dit sincèrement à ses compatriotes : « Il vous reste encore à