Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

constaté la puissance du volcan. Au nord et à l’ouest de la ville, nous avons vu ces laves, qui en avaient renversé et franchi les remparts ; nous avons retrouvé, au midi, ces ondées qui se déversèrent par-dessus les murs construits par Charles-Quint. Nous avons pu juger de l’épaisseur effrayante de cette couche en descendant les escaliers du Pozzo di Vela, sorte de puits creusé en suivant ce même mur à l’extérieur, et au fond duquel le prince Biscari a retrouvé le fleuve Amenano[1], perdu depuis cette époque fatale. Nous avons parcouru, au-delà du port, cette cheire qui avance dans la mer en forme de promontoire, et dont la surface ressemble à celle d’un fleuve en débâcle, dont les glaçons, immobiles

  1. Le fleuve Amenanus des anciens. Cette partie de la ville est très curieuse à étudier. Précisément parce que les laves arrivées au niveau du parapet ne l’ont franchi qu’en très faible quantité, on voit très bien comment les choses se sont passées. La lave n’a pas coulé le long du mur à la manière d’un liquide même visqueux ; elle a formé une sorte de pyramide irrégulière dont la base s’appuie contre le mur, et dont les talus latéraux ont une inclinaison marquée par celle d’un escalier assez rapide. Par conséquent, la lave s’est comportée à peu près, comme l’eût fait un éboulement de matières solides. C’est dans la cour de la maison Rapisardi que M. Edwards et moi avons observé ces détails, très faciles à vérifier. Non loin de ce point, la lave a déposé sur le parapet même un gros bloc qui est resté entièrement isolé. Ces faits s’accordent assez mal avec les idées qu’on se fait généralement sur la nature des laves, surtout sur leur cohésion. Il est très rare qu’elles conservent long-temps une liquidité parfaite. Au contact de l’air, leur surface se prend presque immédiatement et devient très résistante, alors même qu’elles continuent à couler avec assez de rapidité. Nous avons pu avec M. Blanchard constater par nous-mêmes ce fait dans le cratère du Vésuve. En jetant de toutes nos forces des pierres poreuses sur un courant de lave qui venait de sortir à quelques pas de nous, et qui coulait en présentant une superficie encore tout unie, nous les avons vues rebondir ou se briser à la surface de cette coulée en apparence si liquide. Au reste, ce sont là des particularités que savent très bien tous ceux qui ont contemplé de leurs yeux ces terribles phénomènes. Cette propriété des laves nous explique comment quelques hardis voyageurs, entre autres le chevalier Hamilton et le marquis Galliani, ont pu traverser des coulées en mouvement sans éprouver d’autre inconvénient qu’une forte chaleur aux pieds et aux jambes. A Messine, on m’a assuré que les laves, parvenues à quelque distance du cratère, marchaient quelquefois en présentant un front presque perpendiculaire et d’une hauteur de vingt à quarante pieds. Des blocs de lave figée qui couvrent l’extérieur de la coulée tombent sans cesse du haut de cet escarpement en avant de la masse liquide qui les reprend et les refond en passant sur eux. Ajoutons à ces faits que les matières pierreuses sont de très mauvais conducteurs pour le calorique, et nous comprendrons très bien, d’une part, la lenteur de la marche des laves, et d’autre part, le temps considérable qu’elles mettent parfois à se solidifier entièrement et à se refroidir. Nous avons vu que le fleuve de feu sorti des Monti-Rossi avait mis quarante-six jours pour atteindre les bords de la mer, éloignés d’environ quatre lieues. Ici la masse énorme de matières ignées vomies par le volcan accélérait le mouvement. Dans l’éruption qui dura pendant dix ans, de 1614 à 1624, le courant de lave sans cesse alimenté parcourut seulement dix milles siciliens (trois lieues et un tiers environ). En revanche, la lave de 1819 avançait encore d’environ un mètre par jour neuf mois après que l’éruption avait cessé. Spallanzani vit son bâton de voyage fumer et s’enflammer quelques instans après l’avoir introduit dans une fente encore rouge de la coulée de 1787, solidifiée depuis onze mois. Enfin les cheires de l’éruption que nous venons de décrire fumaient encore et dégageaient une chaleur sensible huit ans après que la lavé était sortie des Monti-Rossi.