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par les menées apostoliques au vieux roi, désormais forcé de chercher son point d’appui dans l’esprit constitutionnel, le pamphlet, dis-je, puisa une circonspection salutaire dans le souvenir de ce lugubre quiproquo, et le jour où l’ame de Ferdinand VII s’en fut allée rejoindre, on ne sait pas bien où, l’ame de Louis XI et de Philippe II, il avait si bien trompé son monde à force d’humilité sournoise, que la liberté de la presse put se glisser, sans trop d’encombre, dans le libéralisme sinueux de l’estatuto real.

Larra, Mesonero, Lafuente, Segovia, Santos Pelegrin, — inq renommées de pamphlétaires en moins de six ans, de 1832 à 1838, — ont successivement grossi le léger héritage de Miñano. Le premier en date comme en vogue sérieuse et durable, c’est don Jose Mariano de Larra, presque un Voltaire doublé d’un Cervantes. C’est lui qui m’occupera surtout. Outre que son cadre est le plus complet, il résume en leurs deux aspects caractéristiques la vieille et la nouvelle satire espagnole : celle-là, placide et contenue parce qu’elle n’était que tolérée, et sachant payer en indulgence l’indulgence toute volontaire de ses victimes ; celle-ci, encore empreinte de cette mansuétude universelle qui est le fond du génie national, mais plus franche dans ses allures, parce qu’elle se sent plus libre en principe ; plus incisive et plus rancunière, par cela même qu’elle est plus contestée dans l’application. Un autre mérite des pamphlets de Larra, c’est qu’ils sont les meilleurs commentaires de la révolution espagnole. Parmi les nombreuses anomalies que cette révolution a présentées, il en est peu dont il n’ait pas saisi ou laissé entrevoir le germe, et cela sans parti pris, souvent à son insu et par un de ces bonheurs de divination que rencontrent seuls les hommes de génie et les hommes de bonne foi. Ne lui demandez pas ce qu’il veut prouver : il n’a voulu que peindre. Ne cherchez pas d’enchaînement systématique dans les railleuses ébauches qu’il laisse tomber de son pinceau au hasard de la fantaisie et de l’heure : si, à la suite de ce guide capricieux, nous arrivons parfois à une conclusion précise, ce sera sans qu’il y songe et par le chemin des écoliers, mais nous arriverons. Quand on a étudié d’après Larra les divers élémens de la société espagnole et la mise en œuvre maladroite et naïve de ces forces incohérentes, un fait lumineux ressort de cet examen : c’est que, depuis 1812 jusqu’en 1840, l’Espagne politique a procédé en quelque sorte à rebours, confiant, par une bizarre transposition de termes, la résistance à des prétentions novatrices et l’initiative révolutionnaire à des intérêts rétrogrades. Voilà la clé de bien des contradictions apparentes qui déroutent à chaque pas l’observateur.