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obtint, « des appointemens à sa troupe et un engagement au service du prince, tant auprès de sa personne que pour les états de Languedoc. » Ainsi s’explique comment Molière aurait quitté Lyon dans l’automne de 1655, « commandé pour les états de Languedoc, » qui se tenaient cette année à Pezenas, le prince de Conti y étant revenu de sa seconde campagne en Roussillon.

De ces états et de l’hiver de 1655 et de 1656, nous ne savons rien en ce qui concerne Molière, si ce n’est qu’il hébergea et nourrit d’Assoucy, pour qui ce fut « une Cocagne. » Quant au prince de Conti, dès le printemps de 1656, il avait quitté la province pour se rendre à la cour, et nous n’avons plus à le revoir en Languedoc. Molière y demeura, allant de ville en ville, à commencer par Narbonne, où d’Assoucy le conduisit et le quitta pour aller de sa personne à Montpellier chercher cette fâcheuse aventure qui a flétri son nom. L’automne de cette année ramenait une session des états qui se tint à Béziers et y fit venir Molière. Lagrange et Vinot nous disant que « la seconde comédie de Molière fut représentée aux états de Béziers, » le Dépit amoureux doit nécessairement prendre pour date l’an 1656 ou l’hiver de 1656 à 1657.

Il y a ici toutefois à remarquer deux circonstances singulières dont on pourrait faire des objections. D’Assoucy raconte qu’après son aventure de Montpellier, qu’il date lui-même ailleurs de 1656, il passa l’hiver suivant à Béziers, où se tenaient les états. Il dit bien, et cela pour s’en plaindre, qu’il n’y trouva plus « ce prince qui donnait des écus à milliers ; » mais il ne fait aucune mention de ce bon Molière, son ancien hôte, ni de sa troupe, ni de ses pièces, ni de sa table. Ensuite Chapelle, dont le voyage, si heureusement raconté, est, sans aucune contestation possible, de 1656, et se termine à Lyon vers le milieu de novembre, Chapelle, l’ami d’enfance de Molière, suivant tous les biographes, parcourant dans l’automne les villes du Languedoc, ne paraît avoir cherché ni rencontré nulle part dans cette province ce camarade de philosophie, maintenant acteur et poète, qui, là au moins, devait faire quelque bruit. Et ce n’est pas que son compagnon de voyage et lui évitassent la comédie. Ils s’y plaisaient au contraire et ils la fréquentèrent volontiers à Carcassonne, où ils venaient pour cela de Penautier. « La comédie, disent-ils, fut aussi un de nos divertissemens assez grands, parce que la troupe n’était pas mauvaise et qu’on y voyait toutes les dames de Carcassonne. » S’il nous était prouvé, ce dont nous ne doutons guère, que la troupe de Molière fût la seule qui jouât cette année-là en Languedoc, le silence dédaigneux de Chapelle sur le principal acteur de cette troupe serait assurément fort étrange. Pour ce qui est de d’Assoucy, on peut croire à toute force que les comédiens, et surtout les comédiennes de Béziers, se soucièrent peu d’accueillir le héros de l’aventure récemment arrivée à Montpellier, et le tinrent à telle distance qu’il n’eût pas à se vanter d’avoir passé encore un hiver en même lieu ; mais faudra-t-il croire aussi que Chapelle ait craint de se compromettre en nommant Molière aux nobles amis à qui s’adressa son Voyage ?

Quoi qu’il en soit, nous avons le Dépit amoureux, représenté pour la première fois aux états de Béziers, et, les états du Languedoc s’étant ouverts le 17 novembre 1656 à Béziers, nous voyons Molière toujours lent, timide à produire, mettant trois ans d’intervalle entre deux ouvrages, sans que le progrès de l’un à l’autre soit fort notable. Ici encore, du reste, on ne saurait signaler aucune intention de satire contemporaine, si ce n’est peut-être le passage où un