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au 23 juillet. Que Molière y ait accompagné le roi, c’est ce dont nous ne croyons rien, et nous le regrettons, parce qu’il s’y passa des choses dont nous aurions aimé à le voir témoin ; mais encore faudrait-il que sa présence en ce voyage, toute dénuée de preuves qu’on nous la donne, eût au moins une apparence de motif. Or, celui qu’avance Grimarest, « le grand âge de son père, » ne peut se soutenir, puisqu’il est certain que Jean Poquelin n’avait pas alors plus de quarante-six ans. Il est vrai que, pour rendre la phrase plus sonore, les copistes de Grimarest ont ajouté à la vieillesse des infirmités. « Son père, dit Voltaire, étant devenu infirme et incapable de servir ; » mais nous savons que ce père infirme servait encore en 1663 et ne mourut qu’en 1669. Or, ne voilà-t-il pas des gens bien informés pour nous obliger à croire, sur leur seule parole, une circonstance qui d’ailleurs ne produit rien, même dans leur récit ?

Quoi qu’il en soit du voyage de Narbonne, cette date de 1642, que nous rétablissons, nous a fait arriver au temps où Molière venait d’achever sa vingtième année. Ses classes finies, il étudia en droit ; Lagrange et Vinot nous le disent. Grimarest veut qu’il ait été reçu avocat. Nous en doutons fort, parce que le temps nous parait manquer à ce résultat naturel de ses études, et nous n’aurions, du reste, aucune répugnance à compter un homme d’esprit de plus parmi les déserteurs du barreau, où il en reste toujours assez. Ce qui est absolument certain, c’est que sa naissance, son éducation, la condition de ses parens, que l’on a voulu niaisement ravaler, semblaient tout naturellement le destiner à ce que nous appelons les professions libérales. La survivance qu’il avait obtenue, expliquée ainsi que nous l’avons fait, ne l’en écartait assurément pas. Sur ce point, nous avons le témoignage d’un contemporain, et, ce qui mieux vaut en pareil cas, d’un ennemi. Dès 1663, l’auteur des Nouvelles nouvelles, Douneau de Visé, écrivait ce qui suit au sujet de Molière : « Le fameux auteur de l’École des Maris, ayant eu dès sa jeunesse une inclination toute particulière pour le théâtre, se jeta dans la comédie, quoiqu’il se pût bien passer de cette occupation et qu’il eût assez de bien pour vivre honorablement dans le monde. » Or, il faut remarquer que ce bien devait lui être venu par héritage, que, par conséquent, son père vivant encore, il le tenait sans aucun doute de sa mère, morte en 1632, que la succession de celle-ci avait été partagée entre plusieurs enfans, et que la part de l’un d’eux le faisait passer pour riche dans Paris, où il était né, où mille gens l’avaient connu comme enfant, écolier et jeune homme.

IV. 1645. — Si l’on veut accorder aux études du droit le temps écoulé de 1642 à 1645, trois ans au plus, qui mènent Jean-Baptiste Poquelin jusqu’à l’accomplissement de sa vingt-troisième année, on atteindra l’époque où il se fit comédien. Ici, en effet, le doute est impossible. La troupe dont il fit partie ne dura qu’un an, et il y a preuve d’une pièce, représentée par elle, qui fut imprimée en 1645. Lagrange et Vinot nous apprennent fort bien ce qu’était cette troupe. « Il tâcha, disent-ils, de s’établir à Paris avec plusieurs enfans de famille, qui, par son exemple, s’engagèrent comme lui dans le parti de la comédie, sous le titre de l’Illustre-Théâtre. » il faut noter ici cette qualification « d’enfans de famille, » qui, sous la plume des deux amis, se rapporte exactement à ce que nous avons déjà cité de la main d’un envieux. Elle s’applique aussi parfaitement à trois de ses compagnons que nous connaissons, les deux frères Béjart et leur sœur Madeleine, dont le père était procureur au Châtelet. Ce qu’on voit ici d’ailleurs et