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besogneurs subalternes qui touchent à tout et gâtent tout ce qu’ils touchent, autorisés à leurs méfaits par la coupable apathie des honnêtes gens. Boileau, qui avait bien connu Molière, qui l’avait aimé, ce nous semble, plus qu’il n’aima homme du monde, Boileau vieilli vit le livre dont il est question, et se contenta d’écrire : « Pour ce qui est de la vie de Molière, franchement ce n’est pas un ouvrage qui mérite qu’on en parle. Il est fait par un homme qui ne savait rien de la vie de Molière, et il se trompe dans tout, ne sachant même pas les faits que tout le monde sait. » Que tout le monde sait ! c’est-à-dire que tout le monde de ce temps, que tous ceux qui avaient l’âge de Boileau savaient alors, partant que nous ne savons plus, parce que nul de ceux qui les savaient n’a pris soin de nous le dire. Après cela, le grand juge des œuvres littéraires crut infailliblement mort le livre qu’il avait condamné. Et ce livre lui a survécu, il a été vingt fois, trente fois réimprimé, il l’est d’hier ; il a fait un nom à son auteur ; il lui a procuré, qui pis est, de nombreux plagiaires, parmi lesquels sont de grands écrivains, qui ont rafraîchi, brodé, doré ses guenilles, étendu sur ses phrases un peu de français, sans se donner la peine de vérifier un seul des faits qu’il raconte, car c’est comme cela que se font les livres dans notre pays. Ainsi, entre autres, a procédé Voltaire, et il n’a eu vraiment que ce qu’il méritait, lorsqu’un libraire préféra, en 1734, à l’élégant résumé qu’il avait daigné faire d’une œuvre pitoyable, la version plus ample qu’en donnait un autre écrivain, digne, en effet, d’abréger le premier. Depuis 1705 jusqu’à nos jours, Le Gallois de Grimarest, celui dont Boileau ne voulait même pas qu’on parlât, est demeuré positivement le maître de la vie de Molière, la source de tant de notices, d’éloges et de remarques dont les éditions de ses œuvres se sont appauvries, et dernièrement, lorsqu’un biographe laborieux a voulu reprendre cette tâche si mal remplie, le travail de son prédécesseur séculaire a encore pesé sur lui, ne fût-ce qu’en lui imposant la fâcheuse nécessité de le contredire.

Grimarest pourtant, puisque Grimarest il y a, ne disait pas la vérité en avançant que personne, en 1705, n’avait encore donné la vie de Molière. En 1682 avait paru la première édition complète et posthume de ses œuvres, et en tête de cette publication était placée, sous le titre modeste de préface et sans nom d’auteur, une notice simple, courte, intéressante, que l’on sait maintenant avoir été écrite par un des camarades du comédien défunt et par un des amis du célèbre écrivain, les sieurs de la Grange et Vinot. Là, et presque nulle part ailleurs, se trouvent encore aujourd’hui les seuls renseignemens certains que l’on puisse accepter, les seuls peut-être, et cette conjecture est sérieuse, que Molière ait voulu laisser au public sur cette carrière de cinquante et un ans, dont l’éclat ne dura pas plus de quinze années, et que doit suivre une gloire immortelle.

Ce qui en est glorieux n’est pas cette fois de notre sujet ; nous voulons tâcher de démêler ce qui en est obscur.

I. 1622. — On peut tenir aujourd’hui pour constant que Molière naquit à Paris, non pas en 1620 ou 1621, mais le 15 janvier 1622 ; non pas sous les piliers des Halles, mais dans la rue Saint-Honoré, où demeurait son père ; qu’il était fils de Jean Poquelin, tapissier, et de Marie Cressé (non pas Boutet) sa femme. Notez que toutes ces indications fautives, démenties maintenant par des preuves, ne proviennent pas de ses premiers biographes, en quelque sorte testamentaires, mais de Grimarest et de ses copistes. C’est dans notre temps seulement qu’on s’est avisé d’employer, en faveur de l’exactitude historique, les mêmes voies,