Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Barberousse ! oui, et de Luther, et de Frédéric. Pourquoi t’arrêter dans l’antichambre ? » Rien n’est mieux dit, et l’on ne pouvait indiquer plus nettement l’état de la question. La poser ainsi, c’est la résoudre. Les hommes de cœur que révoltent le patriotisme menteur de M. Menzel et l’enthousiasme rétrospectif de M. Léo seront-ils assez imprudens pour envelopper dans le même dédain l’Allemagne du passé et cette Allemagne nouvelle, cette vraie patrie de leur ame, au sein de laquelle fermentent tant d’espérances généreuses ? On leur parle du saint empire romain, on se passionne pour les empereurs de la maison de Souabe et, parce que ces puériles fantaisies ont trompé même des esprits distingués, les voilà qui se découragent et qui rompent avec leurs frères ! N’est-ce pas une puérilité tout aussi coupable ? Il serait si facile pourtant de rétablir la vérité et d’opposer à ces vieux noms qui ne représentent plus rien de vivant les héros des générations nouvelles, ces glorieux noms pleins d’encouragemens et de promesses ! La patrie d’Arminius ou de Totila, qui inspire au roi de Bavière une exaltation si divertissante, ne parle point à votre ame ; en penserez-vous autant de la patrie de Luther, de Leibnitz, de Goethe ? Voilà ce que je dirais à tous les esprits généreux qui se révoltent et avec raison contre les inepties du romantisme allemand ; voilà ce que je dirais à M. Arnold Ruge, si M. Ruge n’avait point dépassé les frontières du parti auquel je m’adresse Ce qu’il attaque, c’est le patriotisme, quel qu’il soit ; c’est l’attachement : de l’homme au sol qui l’a nourri, au tombeau de ses pères, au berceau de ses enfans ; c’est la pieuse reconnaissance d’une ame qui se sent vivre dans le passé et dans l’avenir avec la pensée de tout un peuple. Il y a partout, non pas seulement dans l’Allemagne régentée pale les absurdes théories de Menzel et de Léo, il y a dans l’ancien monde et dans le nouveau, il y a au nord et au midi un mal qu’il faut combattre ;, une superstition qu’il faut extirper : c’est le sentiment de la patrie. A la bonne heure ! cela s’appelle parler net pour un philosophe allemand. On est bien sûr ici de ne pas discuter dans les ténèbres.

M. Arnold Ruge a pris pour épigraphe de son traité quelques vers de M. de Lamartine. L’auteur de la Marseillaise de la Paix s’est écrié généreusement :

Nations, mot pompeux pour dire barbarie,
L’amour s’arrête-t-il où s’arrêtent vos pas ?
Déchirez ces drapeaux ; une autre voix vous crie :
L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie ;
La fraternité n’en a pas !


Qu’est-ce à dire ? N’est-ce pas là un cri de poète, un élan irréfléchi ? L’éloquent écrivain sait bien que la patrie n’est pas une invention de