Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler ici, et j’ai signalé avec empressement les mérites sérieux de cette brillante publication. Pendant près de cinq ans, de 1838 à 1843, le recueil de M. Arnold Ruge a occupé le premier rang dans la presse allemande. Il représentait avec un éclat juvénile les désirs de la génération nouvelle ; il osait harceler à la fois et la science paresseuse des universités et l’inspiration endormie de la poésie régnante ; de tous les côtés, il réveillait la vieille Allemagne, et devenait enfin ce que fut chez nous le Globe dans la dernière période de la restauration. Ce fut là du moins sa gloire au commencement de cette rapide campagne. Bientôt cependant cet esprit de suite, cette fermeté régulière, qui sont encore si rares en Allemagne, firent peu à peu défaut aux ardens écrivains des Annales de Halle. En haine de la réaction qu’ils combattaient, les jeunes défenseurs de la liberté renièrent les principes dont ils avaient le plus besoin. La vieille Allemagne était spiritualiste, et son spiritualisme excessif, en lui inspirant le dédain de la vie active, la rendait égoïste et incapable d’un progrès sérieux. Il fallait rajeunir le spiritualisme, l’associer aux idées nouvelles de réforme et de liberté ; quoi de plus naturel d’ailleurs et de plus légitime ? Mais non ; les Annales de Halle eurent recours à l’erreur contraire. Il semble que, dans leur colère insensée, les jeunes démocrates ne voulussent avoir rien de commun avec l’ennemi, et qu’ils jetassent leurs armes, aimant mieux combattre tout nus. Rien de plus nu en effet, rien de plus tristement misérable que l’esprit de leur polémique pendant la seconde période de la guerre. Ce recueil si brillant devint un refuge où les erreurs les plus antipathiques au génie de l’Allemagne se donnèrent rendez-vous. Un des amis de M. Ruge, son collaborateur le plus méritant, M. Echtermeyer, venait de se séparer de lui, et depuis cette séparation le mal croissait chaque jour. Tantôt je ne sais quel panthéisme subtil dans ses formes et grossier dans ses résultats, tantôt le matérialisme le plus sec, voilà quelle fut bientôt la philosophie des Annales de Halle. Remarquez, en outre, que tout cela était prêché avec une autorité dictatoriale et comme par une bande de terroristes. On comprend que la faveur publique dut s’éloigner promptement. Quand M. Ruge fut chassé de la Prusse, cette brutale mesure n’indigna personne ; deux ans plus tôt, l’expulsion de l’éloquent publiciste n’eût pas été possible. Les Annales de Halle se reconstituèrent en Saxe (juillet 1841), et prirent le nom d’Annales allemandes ; du reste, le journal persistait résolûment dans la fausse voie où il se perdait. Inquiété sans cesse par la censure, le recueil de M. Arnold Ruge ne fut pas plus heureux que sous l’administration prussienne, et deux ans ne s’écoulèrent pas avant qu’il fût suspendu par l’autorité. M. Ruge crut qu’une pétition à la chambre des députés de Saxe réveillerait le zèle de ses amis. Vain espoir ! sa pétition, qui, trois ans plus tôt, aurait excité -des sympathies si nombreuses, ne trouva pas un défenseur. On voulait