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Au temps marqué, le Nil sort de sa couche immense,
Sur l’Égypte il étend ses deux bras, la bénit ;
La mort seule y régnait, la vie y recommence,
Le dieu satisfait rentre et dort dans son grand lit.

L’un sur l’autre écroulés, des siècles et des mondes
Près de lui maintenant dorment silencieux.
Leur sommeil est la mort ; mais il vit, et ses ondes
Réfléchissent toujours le désert et les cieux.

Il prodigue ses flots, qui jamais ne tarissent,
À ces peuples déchus de leur vieille splendeur,
Même à ces fils du Nord dont les fronts qui pâlissent
De ce puissant climat soutiennent mal l’ardeur.

Et pour se consoler des présentes misères,
Triste de ne plus voir rien de grand sur ses bords,
Rappelant du passé les gloires séculaires,
Le vieux fleuve se plait au souvenir des morts.

Pensif, il s’entretient des prodiges antiques,
De ces rois oubliés dont lui seul sait le nom ;
Et de là, descendant aux âges héroïques,
Il murmure tout bas : Moeris, Rhamsès, Memnon.

Il sourit comme un père aux solides ruines
Des temples dont il vit poser les fondemens ;
Il salue en passant les deux cités divines
Ton nom seul, ô Memphis ! Thèbes, tes monumens !

Ne voulant plus rien voir après les pyramides,
Comme un roi triomphant qui trancherait ses jours,
Le fleuve impatient hâte ses flots rapides,
Et sombre au sein des mers ensevelit son cours.

Dans ma barque étendu, le front vers les étoiles,
Je laisse aller mes vers au souffle de la nuit,
Au souffle qui murmure en jouant dans les voiles,
Au rivage qui passe, à l’onde qui s’enfuit.


J.-J. AMPERE.