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Des femmes lentement vers la rive descendent ;
Le front porte la cruche, et l’épaule l’enfant.

À terre, en cercle assis, les anciens du village
Fument silencieux, et seul un Bédouin,
La main sur son fusil, l’air dur, le front sauvage,
Suit de l’œil ces Français qui viennent de si loin.

Ici l’homme fut grand, on le voit à son ombre.
Le haillon qui le couvre avec grace est porté,
Un fier regard se cache au fond de son œil sombre,
Et sous le dénûment perce la majesté.

Ce sont haillons de prince et misères divines ;
C’est une robe d’or, mais elle est en lambeaux.
C’est encor l’Orient, mais il est en ruines ;
Ce sont marbres encor, mais marbres de tombeaux.

La femme du fellah passe muette et fière,
D’un bracelet d’ivoire ornant son bras maigri,
Traînant d’un pas royal, à travers la poussière,
Le vêtement grossier qui cache un corps flétri.

Parfois le souffle heureux d’un art charmant décore
Ces huttes de limon où brûle le fumier ;
Sur leur toit s’arrondit le toit du sycomore,
Et se balance au vent la tige du palmier.

Dans ma barque étendu, le front vers les étoiles,
Je laisse aller mes vers au souffle de la nuit,
Au souffle qui murmure en jouant dans nos voiles,
Au rivage qui passe, à l’onde qui s’enfuit.


II.


Quand s’enflent doucement nos deux voiles croisées,
Qui ressemblent de loin aux ailes des oiseaux,
Et qu’en sillons mouvans légèrement creusées
Aux côtés de la proue on sent glisser les eaux ;

Quand, sous l’effort du vent, notre barque inclinée
Semble un gai patineur au pied capricieux
Qui sur l’eau tout à coup par l’hiver enchaînée
Trace négligemment des contours gracieux,

L’ame alors se ranime, et l’active pensée
Comme le vent, la barque et l’horizon qui fuit,
Court agile et légère, et sa course pressée
Laisse loin la douleur qui haletant la suit.